alienPar quel bout prendre un objet comme celui-ci ? Par quel fil doit-on le tirer pour que la bobine déroule ses trésors ? La cinéaste elle-même reconnaît dans l’entretien qu’elle nous a donné qu’il s’agit d’un film à facettes, une boule de cristal éblouissante dont les diverses lumières éclaireront des zones obscures pour chacun de ses spectateurs. Dans le champ dévasté d’un cinéma français sans mystères, sans énigmes, où tout est mâché, c’est déjà beaucoup. Suivra-t-on le fil de la collaboration féconde qui unit la comédienne réalisatrice chanteuse polymorphe et Nicolas Ker, auteur compositeur de la belle bande-son sombre ? Ils avaient déjà signé il y a deux ans un superbe album de chansons à la Nick Cave, celui de No More Shall We Part. Ira-t-on voir du côté du giallo puisque le film plonge dans ses délires graphiques, ses couleurs déliquescentes, son imagerie maniérée ? Ou alors vers l’ésotérisme, de l’alchimie et des codex, des sociétés secrètes qui gouvernent le monde ? Serait-ce enfin celui du cinéma queer par son mélange tout azimut des genres ? A ce titre, le film va loin en mêlant une pléiade de comédiens et de freaks qui ne se croisent pas souvent : Asia Argento, Joséphine de la Baume, Jean-Pierre Léaud, Michel Fau, Ali Akbar Mahdavifar. Le fil que nous choisissons de tirer est celui du roman-feuilleton fin XIXème, celui d’Eugène Sue, du Dumas de Pauline, celui surtout de Maturin, auteur d’un grandiose Melmoth auquel ce long métrage emprunte l’imaginaire gothique, l’imagerie romantique et sombre. Du roman-feuilleton, Dombasle tire deux vertus : la rapidité trépidante par le biais d’un montage ultra haché et la clarté narrative, ce qui pourrait paraître plus surprenant puisqu’elle accumule les signes et les symboles (psychanalytiques, sociaux, métaphoriques) jusque à saturation du moindre plan. Mais cet assemblage de métaphores ne nuit jamais à la belle ligne claire qui traverse cette histoire à dormir debout dans des vapes très éthyliques, où un savant fou (Fau) cherche à composer l’être androgyne du Banquet de Platon : cet alliage idéal de deux amants, moitié respective de l’autre dont l’unité avait été brisée par les Dieux à cause de leur vanité. Il faut bien être Dombasle ou Ker pour croire que cet être serait formé d’une héroïne rohmérienne et d’un rockeur destroy. Si bien qu’ensemble, ils forment un couple parfaitement burlesque parce qu’inattendu et antagoniste : elle, grande, altière, sophistiquée, copulant avec les plus belles filles de son tournage tandis que lui, petit et chauve aboie avec sa mine patibulaire gorgée de whisky dans des bateaux, des sous-marins et des palaces aux quatre coins de la planète. Dombasle et Ker se cherchent, se cachent, se retrouvent, s’abandonnent dans un monde soumis aux caprices de leurs Dieux siphonnés. Cette ligne claire a une ultime vertu : aucune pompe, rien du sérieux solennel qui ôtait le ludique à Un couteau dans le coeur et aux Garçons Sauvages. Si bien que dans cette recherche de la fantasmagorie à laquelle s’attellent quelques cinéastes français actuellement, cet Alien est de très loin le plus perché. Et donc une petite merveille.