Mise en scène par le regretté Pierre Audi, cette Tosca enchante aussi par ses interprètes, Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier et la révélation de cette production, la cheffe d’orchestre Oksana Lyniv.

Certaines productions d’opéra se bonifient avec les ans. Créée en 2014, la Tosca de Pierre Audi n’avait pas toujours convaincu : trop de paradoxes, d’effets inutiles, de symboles christiques. Et puis voilà qu’on s’y fait. À force de voir des spectacles sans queue ni tête, qui semblent aller contre l’œuvre, cette mise-en-scène s’avère respectueuse, sans flagornerie, d’un classicisme courtois, presque raffinée. La mort subite de Pierre Audi, il y a quelques mois, oblique-t-elle notre opinion ? Sans doute pas ; il en est des spectacles comme des vins : certains murissent et révèlent leur arôme. Mais Tosca, opéra génial, presque parfait, d’un miraculeux équilibre entre la force théâtrale et le feu intérieur, repose beaucoup sur sa distribution. Et c’est bien pour cela qu’on est venus voir (et entendre) sa reprise sur la scène de l’opéra Bastille, en ce début décembre.

Familière du rôle, la soprano espagnole Saioa Hernandez est une Tosca solide. Très en voix, elle se joue de toutes les difficultés du personnage, même si l’on aurait voulu çà et là plus de subtilité, d’ambiguïté. Disons qu’elle est une Tosca droite dans ses bottes, mutine ou dramatique lorsqu’il le faut, mais il lui manque l’aura tragique, la force hautaine d’une Anja Harteros, qu’on a pu entendre dans ce rôle et cette production, il y a six ans.

Avouons toutefois que ça n’est pas pour Saioa Hernandez que le public s’est précipité à la Bastille, mais pour retrouver l’un de ses chanteurs favoris : Jonas Kaufmann. Depuis trop longtemps absent de la première scène nationale, le ténor allemand campe un Mario Cavaradossi aux antipodes de sa partenaire : tout en nuance, sur le fil d’un timbre qu’il ne force jamais, n’hésitant pas murmurer. Sa voix de plus en plus barytonnante n’a plus la force de ses débuts (il a cinquante-six ans) mais ce qu’il perd en éclat il le gagne en intensité. On sent même qu’il pilote sa voix comme un véhicule fragile devant parvenir sans encombre au terme du rallye, culminant par un « e lucevan le stelle » d’une rare élégance, sans effets inutiles, à l’os.

La vedette de la soirée reste cependant le Scarpia de Ludovic Tézier. Très en forme, le baryton français était remarquable de hargne et de fourberie, alternant une force bestiale et une cautèle visqueuse. À l’inverse de Kaufmann, son timbre n’a pas pris une ride. Il semble même avoir gagné en autorité, en puissance, provoquant la sidération joyeuse du public. S’il fallait pinailler on dirait qu’il lui manque le côté ogre d’un Bryn Terfel, mais sa voix est tellement plus belle et souple.

Si l’on savait (globalement) à quoi s’attendre sur scène, la vraie surprise de la soirée est à l’orchestre. La cheffe ukrainienne Oksana Lyniv est une nouvelle venue dans la fosse de l’Opéra de Paris, mais elle parvient, dès les premières mesures, à imposer une patte très personnelle sur une œuvre si rabâchée. Voilà une baguette, une vraie ! Pendant un moment, on hésite entre la séduction et l’agacement devant cette battue lente, langoureuse, presque capiteuse, volontiers expressionniste, et puis on se laisse conquérir. Sa Tosca n’est plus une tranche de théâtre mais une ample marche funèbre qui conduit, inexorablement, à la mort de ses trois personnages. On se demande parfois si on entend de la musique italienne, mais ce Puccini étiré, délibérément slave, est assez saisissant. Grisée par son propre son, la cheffe malmène souvent les chanteurs (Kaufmann semble courir après son propre souffle pour se caler sur les lenteurs de la battue) mais le résultat est atypique et souvent spectaculaire. On serait maintenant curieux d’entendre la maestra Lyniv dans Wagner et Tchaïkovski, qu’elle doit rudoyer avec gourmandise. Cheffe à suivre ! 

Tosca de Giacomo Puccini, le mardi 2 décembre 2025, Opéra Bastille, jusqu’au 27 décembre, mise en scène : Pierre Audi, dir : Oksana Lyniv