Rencontre avec Laurent Lafitte en répétition de la création de la comédie musicale La Cage aux folles. Où l’on découvre un acteur très Broadway.

Souvenez-vous : nous sommes à Saint-Tropez, le cabaret, La Cage aux folles bat son plein, alors que l’on annonce l’entrée en scène de Zaza, le rideau ne se lève pas. Au premier étage, Albin, alias Zaza, refuse de sortir de sa chambre. Il est fou de rage, croit une nouvelle fois que Renato ne l’aime plus. Les insultes fusent, une porte claque, Zaza fait sa dramaqueen. Sur la scène du théâtre du Palais Royal, en 1973, Jean Poiret, l’auteur de la pièce et Michel Serrault s’embrasent ; au cinéma, sept ans plus tard, c’est Ugo Tognazzi, flamboyant et doublé, qui abjure Serrault de se calmer. Ils se réconcilient, jusqu’à ce qu’un évènement inattendu, l’annonce du mariage de leur fils, vienne semer une nouvelle discorde. Saviez-vous que La Cage aux folles avait été, dès sa sortie en 1980, le film français le plus vu aux Etats-Unis ? Des millions de spectateurs découvrent, ravis ou stupéfiés, la virtuosité de Michel Serrault dans le rôle de la burlesque et grandiose travestie, Zaza, et le vieux couple attendrissant de Renato et Albin. Parmi eux, deux New-yorkais, Jerry Herman et Harvey Fierstein. Ils n’en sont pas à leur première Comédie musicale, Jerry Herman n’est pas moins que le compositeur d’Hello Dolly !. Il s’avère d’emblée emballé par le film, Fierstein, horrifié. Le premier y saisit une liberté folle, le second, une homophobie latente, et un code moral abscons. Mais ils s’accordent sur une chose : ça n’a jamais été vu sur une scène américaine. Même à New-York, personne n’avait songé à un spectacle grand public mettant en scène un couple d’hommes, qui plus est dans un cabaret masculin. Ils osent tout de suite se lancer dans une improbable aventure : transformer le film d’Edouard Molinaro, en une comédie musicale de Broadway. Ils écriront à quatre mains pendant trois mois : en 1983, Renato devient Georges, Zaza, une splendide drag-queen, le vieux couple se découvre un vif sentiment amoureux, et une chanson s’instaure culte, « I am what I am », paroles de reconnaissance pour la communauté gay dans des eighties placées sous la terreur du sida. Quarante ans plus tard, Olivier Py et Laurent Lafitte reprennent le flambeau dans le temple parisien de la comédie musicale, le Châtelet. Que reste-t-il de la pièce de Jean Poiret dans cette réinvention par Olivier Py, en français ? Deux hommes qui s’aiment, et un humour de boulevard qui, associé à la musique et aux airs des paroliers américains, offre un rythme et une vie endiablés au spectacle. Même s’il s’agit de sa première comédie musicale, Olivier Py dont on connaît le double, la cultissime Miss Knife, arpente des sentiers familiers, ceux du cabaret, et des divas en talons et strass. Lorsque je les rejoins en répétition, à Romainville, pour assister à un premier filage, je découvre le couple que forment Laurent Lafitte et Damien Bigourdan ; ce dernier est un habitué des plateaux de Py, il chantait et jouait déjà l’année dernière dans Peer Gynt, le grotesque « roi des Trolls ». Ils sont tous deux entourés d’une nuée de danseurs, les « cagelles » qui viennent donner le caractère du spectacle. Discutant avec le chorégraphe, Ivo Bauchiero, j’apprends que nous sommes à l’issue d’un travail de plusieurs mois, au gré d’une chorégraphie à laquelle tous se sont pliés avec effort et bonne humeur. A commencer par Laurent Lafitte, qui a dû apprendre à jouer, marcher, danser sur des talons hauts, ou à œuvrer à des séances de transformisme, au gré des costumes spectaculaires qu’il arbore. Car c’est bien lui qui reprend le flambeau de Zaza, héroïne inventée par Poiret, animée par Serrault, puis recréée par Fierstein. Sur scène, je le découvre aussi à l’aise pour chanter que pour jouer, incarnant une Zaza particulièrement émouvante, plus candide que celle de Serrault, plus physique aussi. Mais tout aussi joueuse et excessive dans son rapport à l’existence. « Je n’imaginais le faire qu’avec lui », me raconte Olivier Py, « il est de ces acteurs qui peuvent tout faire, il est très arlequinesque, même si là il se met en danger, le rôle est long, fatigant et exigeant. Il travaille avec beaucoup d’humilité. Et on s’entend bien sur l’esthétique du jeu, on peut faire des folies. » Damien Bigoudan, qui a connu la même trajectoire théâtrale que Lafitte au Conservatoire, reconnaît qu’il y a un sacré défi pour son partenaire se lancer dans ce rôle, « Je suis sidéré par le culot qu’il a à présenter ce rôle, la partition est très ambitieuse. Nous voulons montrer une vraie histoire d’amour, et de tendresse, comme ils le voulaient à l’écriture. Laurent est très gonflé de faire ça, parce qu’il a un public qui pense le connaître, donc je l’applaudis des deux mains. » C’est vrai que Lafitte est devenu une vraie figure populaire en se lançant dans des comédies familiales type Papa ou Maman, ou des films d’aventures comme Le Comte de Monte-Cristo. Mais depuis longtemps, il s’amuse à jouer avec son image au cinéma : en 2016, on le découvrait en figure sombre et fascinante dans Elle de Verhoeven, et même ce mois-ci, dans La Femme la plus riche du monde, il endossait le rôle du mauvais garçon, cynique et extorqueur de vieilles dames, qui s’avère sans doute l’une de ses plus frappantes prestations. Aujourd’hui, le même, sous sa perruque rousse, adopte une expressivité athlétique très Broadway. Et demeure un flamboyant histrion comique au physique de gendre idéal. Que représente Albin/ Zaza pour lui ? Une icône de l’histoire gay, un défi physique et spectaculaire ou l’affirmation d’une liberté ? Laurent Lafitte, à cinquante-deux ans, s’avère un acteur aussi virtuose que mystérieux. Rencontre.

© Thomas Amouroux

C’était un vieux rêve pour vous de monter et de jouer La Cage aux folles ?

Oui. Je déjeunais avec Olivier Gruzman qui est producteur aux Visiteurs du soir, et il m’a demandé quels étaient les spectacles que je rêverais de faire : j’ai répondu La Cage aux folles version Broadway. Il se trouve qu’Olivier Py en rêvait aussi, et quand on est venu lui proposer pour le Châtelet, il nous a dit immédiatement qu’il voulait le mettre en scène.

En France, c’est une comédie musicale assez peu connue…

Quand on aime la comédie musicale américaine, elle s’avère très connue. En France, on associe la comédie musicale à des opéras rock, ou à des spectacles de variété qui sont un peu une spécificité française, qui ne sont pas de la comédie musicale telle que je l’entends. Parce que pour moi, la comédie musicale, c’est avant tout du théâtre, c’est une dramaturgie, des personnages, pas un concept-album.

Quels sont vos modèles de comédie musicale ? Les bijoux de Broadway type Gene Kelly/ Fred Astaire ? Pas celles-ci non, qui sont des comédies musicales construites pour la danse. Pour moi, les comédies musicales qui m’intéressent commencent avec Bernstein, Candide, West Side Story…J’aime ensuite beaucoup Steven Sondheim, qui est un grand auteur- compositeur. Mais aussi Kander et Ebb, qui ont fait Cabaret, Chicago…. Et je pense que La Cage aux folles est une des plus grandes. C’est un répertoire qui compte des merveilles et que l’on regarde en France soit de haut, soit avec ignorance.

© Thomas Amouroux

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

La Cage aux folles, Jerry Herman, Harvey Fierstein, d’après la pièce La Cage aux folles de Jean Poiret, traduction et mise en scène Olivier Py, direction musicale Christophe Grapperon, Stéphane Petitjean, Théâtre du Châtelet, du 5 décembre au 10 janvier 2026.