C’est un bijou musical et onirique, Iolanta, ultime opéra de Tchaïkovski, est aujourd’hui mis en scène par Stéphane Braunschweig.
Tchaïkovski a fait ses adieux à l’opéra dans un jardin rêvé. Nul doute qu’il trouvait dans Iolanta une ultime incarnation de son romantisme fiévreux, une échappée au maudit destin qu’il avait décrit dans La Dame de pique ou Le Lac des cygnes. Dans cette dernière œuvre composée en 1892, il file droit vers la lumière, dans une musique qui n’a jamais été aussi tenue, condensée et fluide. Il livrait une dernière fois combat à l’obscurité, un an avant qu’il ne se donne la mort.
Plus d’un siècle plus tard, l’enjeu était de taille : créer un univers pour celle qui ne voit pas. Comment mettre en musique et en scène l’étrange vie de cette princesse aveugle que son père retient dans un jardin où chacun veille à ce qu’elle ignore qu’elle ne voit pas ? Péché d’amour du roi René, père surprotecteur tel que les contes en offrent souvent à voir. Le défi s’avérait d’autant plus délicat que malgré la beauté de sa musique, et sa courte durée, 1h30, Iolanta n’a pas connu tant de mises en scène, souvent éclipsée par le ballet qui lui a été créé en diptyque, Casse-Noisette.

Triste Eden
Le monde qui nous est offert d’emblée, vert, blanc et rouge, ressemble à un rêve capiteux, un songe insistant qui peut à tout instant basculer dans le cauchemar. Car Iolanta vit dans un lieu édénique qui, comme tout Eden s’avère claustrophobique. Les femmes qui l’entourent portent des costumes étrangement médiévaux, à la manière de La Servante écarlate. Ces robes et celle de Iolanta sont l’ultime concession à l’argument qui suppose l’intrigue dans la France du XVème siècle. Habilement, les personnages qui appartiennent au jardin, les femmes, le médecin, le roi, sont habillés de cette manière du Quattrocento, quand les figures extérieures, Robert, duc de Bourgogne venu rendre sa promesse de mariage à Iolanta, et Godefroy, comte de Vandémont qui sera l’amant rédempteur de cette étrange Belle aux bois dormant, sont, eux, habillés en costumes contemporains. À croire que la tristesse de Iolanta, et de son père suspend aussi le temps. À l’inverse de la musique qui déploie une richesse vive, jusqu’à l’intervention iconoclaste d’un basson au cœur de l’opéra, pour faire vivre cet arrière-fond tumultueux du jardin de Iolanta. Dans la fosse, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, dirigé par un habitué des lieux, Pierre Dumoussaud, livre sans faillir son interprétation de cette musique si puissamment russe.
La mise en scène se devait donc d’être à l’image des nuances de la musique. À sa manière, Stéphane Braunschweig a fait le choix d’un sobre surréalisme en trois couleurs. La scénographie l’a charpenté autour d’oxymores visuels qui aiguisent l’ensemble : ainsi des roses rouges et blanches, de la lumière blanche, glaciale, qui douche les broderies du lit de la jeune fille. Braunschweig semble nous suggérer que ce conte est, avant toute chose, une aventure intérieure, comme en témoignent les brefs moments où le visage de Iolanta est projeté en gros plan, les yeux de la princesse cherchant la lumière inconnue. La jeune soprano Claire Antoine s’avère l’une des révélations de cette production : prêtant ses traits et un jeu candides à Iolanta, elle en offre une interprétation musicale puissante, notamment dans la dernière partie de cet unique acte, où elle révèle la profondeur de sentiments de son personnage. Et ce dans un russe qui séduit dès les premières notes.
À ses côtés, ce sont deux voix graves qui frapperont le public en ce soir de première : le roi René, incarné par Ain Anger, chanteur estonien qui ne se départ pas de sa tonitruante chaleur, et le médecin que joue le baryton mongol Ariunbaatar Ganbaatar, qui par son charisme et les nuances de sa voix, nous mène in medias res, dans un onirisme russe et romantique, tel que Tchaïkovski l’a peaufiné toute sa vie. À la fin de ce spectacle, au gré d’un final polyphonique éblouissant, il est tentant de se dire que Tchaïkovski ne nous a peut-être parlé que de lui-même, et de son rapport à l’art. Osons croire que compositeur trouvait dans cette figure grâcieuse de la princesse aveugle, qui ne sait si elle veut quitter ses ténèbres, l’incarnation de ce que la musique peut offrir comme dernière rédemption.
Iolanta, Piotr Illyitch Tchaïkovski, direction musicale Pierre Dumoussaud, mise en scène Stéphane Braunschweig, Opéra de Bordeaux, jusqu’au 18 novembre
Diffusé le 14 novembre à 20h sur Opera Vision, puis disponible sur la plateforme d’Opera Vision.












