Un trio d’artistes – Jean Arp, Hilla Rebay et Louise Nevelson – et c’est tout un pan d’histoire de l’art qui se dévoile chez Raphaël Durazzo.

Considérons du regard les lignes épaisses, déliées ou closes et polies de Jean Arp (1886-1966), les patchworks, stratifications et orbites colorées de Hilla Rebay (1890-1967) et les compartiments anguleux de bois peint ou tel assemblage de Louise Nevelson (1899-1988). Et répétons-nous mentalement certains mots de Arp lui-même.

LOUISE NEVELSON Assemblage 1980 Wood glued on wood H. 76,2, L. 50,8 cm (30 x 20 in.), crédit : Durazzo

Lequel fut, entre autres, dadaïste, créateur (on voudrait dire : cultivateur) de ses fameuses formes « biomorphiques » et écrivain hors-ligne. « Souvent, notait-il ainsi, un détail d’une de mes sculptures, un galbe, un contraste me séduit et devient le germe d’une nouvelle sculpture. J’accentue ce galbe, ce contraste, et cela entraîne la naissance de nouvelles formes. Parmi celles-ci, certaines – deux par exemple – poussent plus vite et plus fort que les autres. » La tentation est grande de transposer ce mouvement composite et sensuel – mi-développement, mi-éclosion – aux rapports qui unissent Arp, Rebay et Nevelson. Car c’est cela qui sous-tend l’expo : une captivante enquête en filiation artistique.

Continuons à écouter, mais cette fois le maître des lieux, Raphaël Durazzo, qui butine avec un rare bonheur, une aisance souple, un enthousiasme que l’érudition n’a pas émoussé, sur les ramifications de cet arbre triple. Hilla Rebay (qui a également été la cheville ouvrière du Guggenheim) n’était pas seulement proche de Arp, qu’elle rencontre à Zurich en 1915, non, il y a bien plus : « c’était le grand amour, une passion dévorante ! » Mais se tend aussi « un lien très fort, celui de la spiritualité. C’est exactement ce qu’on veut raconter. Ce qui est au fondement du travail de Arp, ce ne sont pas seulement ses expérimentations Dada, ce n’est pas seulement quelque chose qui serait uniquement organique. Et pourtant, c’est un aspect dont on ne parle pas beaucoup. Arp est nourri de Jakob Böhme (c’était son livre de chevet à l’adolescence) et de ses jeux d’opposés. » Et Hilla Rebay ? Eh bien, si Arp fait découvrir à celle-ci les écrits de Kandinsky, le terrain n’était pas vierge : élève du peintre Hans Hoffmann, Rebay était aussi imprégnée – dès l’âge de 14 ans – de la pensée de Rudolf Steiner. Elle retrouvait donc sa propre démarche chez Kandinsky.

Et comment aboutit-on alors à la sculptrice Louise Nevelson ? En 1927, Nevelson prend des cours auprès de Rebay, qui « la fait dessiner, dessiner, dessiner ». Et « il est étonnant de constater combien les dessins de Nevelson ressemblent à ceux de Arp. » Sans oublier les collages, qu’elle pratique aussi bien que Rebay et Arp, ou encore Hans Hoffmann, « la plus grosse influence théorique de Nevelson, mais aussi, avec Steiner, de Rebay. »

JEAN ARP Constellation 1954 Collage and graphite on paper 30,7, x 24,1 cm (12,09 x 9,49 in.), crédit : Durazzo

Au diable les filiations de l’état-civil, suivons donc d’abord les généalogies poétiques et esthétiques – les seules peut-être qui vaillent. Raphaël Durazzo fait ainsi écho à un vers d’un poème de Arp, Moon-scape : « Luisa Nevelson a un grand-père sans probablement le connaître : Kurt Schwitters. », en déclarant, dans un éclat de rire, que Louise Nevelson est la fille de Arp et Hilla Rebay.

Exposition Arp-Rebay-Nevelson : initiations croisées, galerie Raphaël Durazzo, du 25 septembre au 8 novembre