Avec Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, c’est la première fois que le metteur en scène monte une pièce de théâtre au sens classique du terme. Il s’explique sur sa relation avec un auteur qu’il a redécouvert sur le tard.
Qu’est-ce qui vous touche personnellement dans cette pièce ?
Guillaume Barbot : J’ai fait un spectacle sur Jacques Higelin qui tourne depuis deux ans. Et j’ai découvert que beaucoup de monde a une histoire personnelle avec Higelin. C’est un peu la même chose avec Juste la fin du monde. Beaucoup de personnes m’ont dit avoir un rapport intime à cette pièce et aussi au film de Xavier Dolan d’après le texte de Jean-Luc Lagarce. Dans mon cas, c’est un peu particulier parce que c’est un auteur sur lequel j’ai beaucoup travaillé en cours de théâtre au début des années 2000. À l’époque ça ne me touchait pas. Je trouvais ça trop intellectuel. Même en l’étudiant en tant que comédien cela me paraissait obscur. Il y a trois ans alors que jusqu’ici j’ai toujours créé des spectacles à partir de matériaux qui ne sont pas théâtraux, j’ai eu envie de travailler sur une écriture plus classique. Je pensais adapter un roman et puis finalement j’ai relu Juste la fin du monde. Et là tout d’un coup, vingt ans après, tout me paraissait évident. Parce que ça parle de la famille et ça parle d’amour, deux thèmes qui sont très présents depuis toujours dans mes spectacles. Et puis j’ai ressenti la vivacité de son écriture qui est très musicale ; ça swingue d’enfer. J’ai aussi été très sensible à cette question du retour au sein de la sphère familiale après être parti vivre ailleurs ; même si mon expérience diffère de la sienne. Mais justement cette possibilité d’être intimement touché par un texte qui pourtant ne parle pas directement de vous montre qu’il s’agit bien d’une œuvre universelle.
Une des particularités de la pièce, c’est que le héros, Louis, est à la fois narrateur et protagoniste. Ce qui est rare au théâtre. Comment fait-on pour gérer ce dédoublement ?
C’est précisément un des aspects sur lesquels on a beaucoup travaillé. À vrai dire, c’est quelque chose que je connais parce que j’ai déjà adapté des romans au théâtre. Mais cette fois, toute la mise en scène prend en compte le point de vue de Louis. C’est lui qui nous emmène à travers cette histoire. Or en même temps, c’est lui qui parle le moins. Donc il faut qu’on écoute les autres personnages à travers son écoute à lui. C’est très important parce que cela implique une écoute active. Un autre aspect du personnage, c’est qu’il n’est pas toujours très sympathique. C’est une figure complexe.
Est-ce que ça ne vient pas du fait qu’il a rompu avec sa famille ? Il ne leur a pas donné de nouvelles pendant des années. Et puis vu ce qu’il est venu leur annoncer, il est en décalage complet avec eux…
Oui, il y a une forme d’incompréhension réciproque. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que c’est une pièce qui parle d’amour tout le temps. Les autres n’arrêtent pas de l’appeler à l’aide. Ils ont besoin de lui. Il n’arrive jamais à être seul, parce que dès qu’il va dans l’une ou l’autre pièce de la maison, quelqu’un lui demande de l’aide. Que ce soit Suzanne, sa petite sœur, qui voudrait le suivre à Paris. Sa belle-sœur Catherine qui lui demande d’être plus attentif aux inquiétudes de son frère. Ou encore sa mère qui aimerait qu’il s’occupe un peu plus d’eux. Or lui ne sait pas comment répondre à toutes ces demandes. Avec en plus ce que le spectateur sait mais que les autres ignorent, le fait qu’il va bientôt mourir.
Est-ce qu’il n’y a pas aussi dans cette pièce dont le sujet est assez sombre des percées lumineuses inattendues, et même de l’humour ?
Bien sûr, c’est très important que quelque chose se passe entre eux qui est de l’ordre d’un éclaircissement ; que ce soit dans leurs pensées, dans leurs regards ou dans leurs sentiments. La pièce telle qu’on la joue se déroule sur une année. Il y a donc aussi le mouvement des saisons, le ciel qui change, les nuages, le soleil. Je crois qu’à un moment on oublie pourquoi Louis est venu. Parce qu’il n’arrive pas à leur dire la raison de sa visite et qu’en même temps cela n’est jamais évoqué. C’est là comme en suspend. Louis est souvent drôle par ailleurs. Cependant, même si la pièce est autobiographique, il est très différent de Jean-Luc Lagarce. Élizabeth Mazev qui joue la Mère dans le spectacle a été très proche de lui. Elle nous a dit qu’il n’était pas aussi distant et caustique que le personnage de Louis. C’était quelqu’un de très drôle et chaleureux. Du coup on essaie de se souvenir de ça pour infuser secrètement quelque chose de Jean-Luc Lagarce dans Louis.
Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Guillaume Barbot. Le 4 octobre au théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine ; le 10 octobre au théâtre de Chelles ; le 16 octobre à Cachan ; du 3 au 22 novembre au Théâtre 13, Paris.