Du chaos nait parfois la logique. Alors que la metteuse en scène allemande Tatjana Gürbaca devait monter Tannhäuser, au Grand Théâtre de Genève, des ennuis de santé la contraignent à abandonner l’aventure. Elle est remplacée au pied levé par son compatriote Michael Thalheimer, à qui l’opéra genevois avait déjà confié les rênes de Parsifal en 2023 puis de Tristan en 2024. Bref : chassez la cohérence, elle revient au galop.

Après le grand cérémonial sacré du Graal et la sensualité suffocante de la passion tristanienne, Tannhaüser se trouve précisément à la croisée de ces deux aspirations. Qui, de l’amour païen, dévorant et sensuel pour Vénus ou de l’amour chrétien, mesuré, (conformiste ?) pour la chaste Élisabeth aura le dessus ? Tel est la problématique de cette œuvre de jeunesse, composée par un Wagner de trente-deux ans mais qui subira de nombreuses métamorphoses. Entre sa création à Dresde en 1845, sa refonte pour Paris en 1861 et ses ultimes retouches à Vienne en 1875, l’œuvre a évolué car son auteur lui-même a trouvé ses marques. En cela, Tannhäuser peut se lire comme un journal de bord des évolutions esthétiques et intellectuelles de Richard Wagner.

Dans ce deuxième opéra « officiel » (les trois premiers ayant été -injustement ?- reniés) le jeune musicien paye encore sa dette au bel canto rossinien et au grand opéra à la française de l’astucieux Meyerbeer. Mais on y est à la croisée des chemins, car les leitmotivs et la mélodie continue sont déjà là, comme ce mascaret qui marque la frontière entre l’eau douce et l’eau de mer. Et c’est en cela que Tannhäuser, œuvre parfois hybride, étrangement équilibrée, est très attachante.

Épaulé par le scénographe Henrik Ahr et la costumière Barbara Drosihn, Michael Thalheimer annonce mettre en place une « scénographie évolutive ». Décors et costumes vont peu à peu évoluer in vivo, sous l’œil du spectateur, comme change la psyché même du personnage éponyme, lequel troque la luxure pour la piété. Est-ce là quelque nouvelle fantaisie du regie theater ? Gageons que Thalheimer et sa camarilla sauront mettre leur patte sur cette œuvre fragile, tout en la laissant respirer.

Cette respiration, on peut l’attendre de la part du britannique Mark Elder. Ce vétéran de la direction orchestrale connait son Wagner sur le bout de la baguette et saura exalter les contrastes de cette partition jouissive, qui commence par une ouverture parmi les plus célèbres.

Après Parsifal voici deux ans, le ténor suédois Daniel Johansson incarnera l’âme tourmentée du héros (dont le nom n’est jamais prononcé dans l’œuvre, d’ailleurs). Il sera tiraillé entre les charmes de la Vénus de la mezzo russe Victoria Karkacheva et la pureté séraphique de l’Elisabeth de la soprano irlandaise Jennifer Davis. Enfin, le merveilleux baryton français, Stéphane Degout reprend la défroque de Wolfram von Eschenbach, rôle dont il s’est fait une spécialité. Un plateau international pour un chef-d’œuvre qu’on n’en finit pas de (re)découvrir.

Tannhaüser, opéra de Richard Wagner, direction musicale Mark Elder, mise en scène Michael Thalheimer, Grand Théâtre de Genève, du 21 septembre au 4 octobre. + d’infos