En choisissant de présenter Louise de Gustave Charpentier mis en scène par Christof Loy, le festival d’Aix ose une œuvre d’une grande finesse, musicale et psychologique, magnifiquement portée par la soprano Elsa Dreisig.
Nul hasard que Louise se définisse comme un « roman musical » : l’opéra a la complexité et la profondeur de la littérature française du XIXe siècle. Il y a du Maupassant et du Flaubert dans cette peinture parisienne d’un monde d’ouvriers et d’artisans rudes à la peine et au plaisir, dans ce personnage de jeune femme qui tente de s’émanciper du carcan familial, et dans la cruauté d’une famille à l’étrange définition de l’amour filial. Gustave Charpentier, peu connu aujourd’hui du grand public, signait avec Louise un opéra qui fut joué mille fois à l’Opéra Comique, lors de sa création en 1900. Qu’y trouvait le public parisien ? À l’évidence, une musique riche en couleurs, dans la droite lignée de Massenet, dont Charpentier fut l’élève. Les cuivres y résonnent aussi bien que les percussions, et les leitmotivs nourrissent une partition enlevée et tourmentée, qui peut à la fois offrir au chœur un hymne à Montmartre, qu’un chant intime au père, incarné par l’exceptionnelle basse Nicolas Courjal. À la direction musicale, le jeune Giacomo Sagripanti offre à l’orchestre une possibilité de faire entendre les nuances et l’ampleur de cette musique qui fluctue au gré des changements de la destinée de Louise. Car c’est bien là, le cœur de l’opéra : les métamorphoses de la jeune femme, sa tentative d’émancipation.
Perversion inavouée
Le metteur en scène allemand Christof Loy choisit de placer l’opéra dans un hôpital psychiatrique, et non dans les différents décors de la vie parisienne, accentuant cette idée d’enfermement de la jeune fille. Les parents viennent ainsi lui rendre visite, la mère, glaciale Sophie Koch, en un vieux tailleur Chanel qui dit assez de son désir d’embourgeoisement, et le père, en homme de bureau si affectueux envers sa fille. La scène au cours de l’acte I qui les voit nouer un bavoir autour du cou de Louise, lors d’une de ces visites, nous annonce la perversion inavouée de cette famille. Christof Loy choisit de centrer sa mise en scène autour de ce scandale qui se joue à bas bruit dans l’opéra : l’inceste du père et de Louise. Tout tournera autour de cette violence non nommée, la rage de la mère, les supplications du père, et surtout, cette ambivalence permanente de Louise envers son père, et son amant, Julien. Louise devient donc ici moins un opéra des faubourgs de Montmartre, qu’un drame intime. Elsa Dreisig peut donc, dans un jeu sophistiqué, alterner des moments d’effroi, et des aspirations à l’amour. Ainsi, la jeune héroïne, immortalisée par l’air de l’acte III, « Depuis le jour où je me suis donnée », chanson de l’émerveillement amoureux que la soprano offre dans cette production avec une légèreté, un art des nuances et une grâce intacte. À la fois fille et amante, femme et enfant, téméraire et docile, princesse des chiffonniers parisiens et candides face à son amant, Louise avance en complexité au gré de l’opéra, devenant exceptionnelle à la fin, dans sa robe rouge et portée par le chœur. Elle a pour sœurs Mimi et Violetta, et s’inscrit dans la lignée des figures lyriques qui marquent l’histoire de l’opéra. La Callas ne s’y trompait pas, qui a chanté la partition de Louise, comme elle cherchait si souvent des figures au bord de l’effondrement. Ici, Elsa Dreisig en fait une héroïne presque bergmanienne, dans son rapport inquiétant à la folie. Christof Loy a choisi de faire voir, au-delà de la suggestion. Et ce, dans une scénographie apparemment classique. Si ce ne sont deux scènes de l’opéra qui sont absolument explicites et abolissent le non-dit. Puis se présente la fin, d’une modernité abrupte, sidérante.
Louise, Gustave Charpentier, direction musicale Giacomo Sagripanti, mise en scène Christof Loy, Festival d’Aix-en-Provence, 13 juillet. Puis diffusion sur France Musique, le 14 juillet à 20h. Et Louise sera présentée à l’Opéra de Lyon, du 29 janvier au 8 février 2026.