De Gluck (Christoph Willibald) en Clug (Edward), le Ballet de l’Opéra toulousain arrive à l’Opéra Comique et bouscule le mythe du séducteur. Avec Jordi Savall à la baguette de son Concert des Nations qui s’est fait longtemps acclamer hier soir, par un public ému. 

Un chorégraphe qui renouvelle l’écriture du ballet ? Qui est une vedette en Europe centrale, du nord et de l’ouest – mais inconnu en France ? Si son nom ne vous parle pas, ce n’est pas de votre faute. C’est ailleurs qu’Edward Clug est déjà un mythe vivant. Parmi ses créations emblématiques, un Sacre du printemps électrisant où cinq cents litres d’eau s’écoulent sur les interprètes. Aujourd’hui on lui doit enfin une création française, grâce au Ballet du Capitole, à Toulouse, qui vient de donner la première à l’Opéra Comique de son dernier ballet, Don Juan, une variation sur le mythe du séducteur, burlesque, spectaculaire, jouant sur les codes classiques, pour en offrir des images stupéfiantes.

Pour un début hexagonal, l’intervention de Clug à l’Opéra Comique est des plus heureuses. Sa vision espiègle, tantôt intimiste, tantôt monumentale, du mythe de Don Juan propose quelques transgressions dans l’air du temps, où les femmes peuvent se jouer de Tirso de Molina et de Molière, jusqu’à promener la gent masculine à la laisse. Inversion des rôles ? Ballet woke ? Clug se laisse plutôt inspirer par les réminiscences espagnoles dans la composition de Gluck. Et fait briller l’ensemble toulousain dans une gestuelle précise et puissante, pour un jeu savant des mains et des pieds, en liberté ou en unisson, debout ou assis. Sa chorégraphie crée la surprise à un rythme soutenu, sans se priver de pointes d’humour. Et pourtant, le Ballet du Capitole arrive à Paname comme par miracle. Car bien peu de place est prévue en Île-de-France pour les troupes classiques qui manquent donc de points de chute. Et soudain, l’Opéra Comique… Tout commence par l’orchestre mené par Jordi Savall : une introduction musicale, Iphigénie en Aulide qui donne le ton de cette soirée baroque dédiée à Gluck. La danse se déploie ensuite dans une chorégraphie contemporaine signée Ángel Rodríguez sur Sémiramis de Gluck, « tragédie en ballet-pantomime » créée en 1762, qui offre dans une féérie abstraite, d’une singularité constante, une très belle virtuosité au ballet. Pour terminer en apothéose, avec Don Juan, (1761), où les interprètes du Ballet du Capitole ne brillent pas seulement par leur technique, mais aussi par la présence de chacun, soutenus avec grâce par l’Orchestre du Capitole sous la baguette bien inspirée de Jordi Savall. A la fin, lorsque Clug, les danseurs du capitole, et Jordi Savall, s’appuyant sur sa canne, saluent, les spectateurs de l’Opéra Comique applaudissent longtemps ce qui ressemble à un très beau rituel de transmission.

Sémiramis d’Ángel Rodríguez et Don Juan d’Edward Clug

Ballet de l’Opéra national du Capitole & Le Concert des nations / Jordi Savall

Paris, Opéra Comique 

Du 24 au 28 mai