John Vaillant nous embarque pour le Nord-Ouest canadien dans l’histoire vraie d’un arbre sacré abattu, qui bouleverse Amérindiens et bûcherons.
« C’était comme si le Nouveau Monde avait été envahi par des légions d’apprentis sorciers. Maîtres d’énergies qui allaient changer la face du monde – celle de la vapeur, de la scie circulaire et de la carabine Sharps – ils ne pouvaient pas, ou ne voulaient pas, prendre toute la mesure des conséquences qu’auraient ces puissances surhumaines ».

Avec L’Arbre d’or, John Vaillant nous immerge dans le drame des forêts primaires, plus au Nord-ouest, dans les îles de Colombie-Britannique. Avec des précipitations de 5 000 mm par an – quatre fois plus qu’à Brest ! – Ces forêts pluviales forment un microclimat. Des « matrices hydroponiques », véritables « bains amniotiques » favorisant le développement d’arbres monstrueux, de lichens moussus épais comme des T-bone steaks. Les épicéas Sitka y naissent d’une « grume-abri », arbre mort dont le pourrissement fournira l’humus nourricier.
À sept heures de ferry du continent, entre Vancouver et Alaska, l’archipel de la Reine-Charlotte est grand comme la Corse. C’est le royaume du peuple amérindien des Haïdas. Là-bas, les colonies de loutres sont « aussi abondantes que les mûres » en été. La violence de l’océan charrie des poissons jusque dans les arbres.
L’éloignement a préservé la forêt primaire jusqu’à ce que les sociétés d’exploitation forestière découvrent ces arbres très rentables, qui pèsent jusqu’à 300 tonnes. Autant que trois baleines bleues. Au début du XXe siècle, « on abat un arbre de 700 ans en 25 minutes ». Travail de forçat, hyper dangereux, quand les grumes roulent sur les rompis, ces arbres debout à moitié cassés. Les soirs de paie trop arrosés, les crampons des grimpeurs de troncs marquent le visage des mauvais coucheurs de la « vérole des bûcherons ». John Vaillant raconte qu’au siècle dernier, les morts étaient si fréquents qu’on n’arrêtait pas la journée de travail avant de les ramener le soir au campement.
En 1997, un bûcheron commet dans l’archipel l’inconcevable. Un geste politique insensé, paradoxal. Grant Hadwin est lanceur d’alerte pour dénoncer la déforestation massive. Il abat à la tronçonneuse Kiidk’yaas, un épicéa sacré de Sitka de 300 ans, haut de 50 mètres, arbre rare aux aiguilles dorées renfermant l’âme d’un petit garçon, symbole intouchable de la communauté Haïda. On retrouvera son kayak vide, ses affaires dispersées, mais le bûcheron a disparu et à ce jour n’a pas été retrouvé. Enquête aussi touffue que les légendes de ces forêts humides menacées. L’Arbre d’or est une réflexion intense sur le complexe obsidional, l’encerclement des peuples autochtones. Comme celle décrite par l’anthropologue Philippe Descola dans ses études des relations intimes des peuples indigènes avec les « non-humains ». John Vaillant nous offre un formidable roman de la contemplation et de la défense de ces espaces sauvages, que leur hostilité naturelle n’arrive plus à préserver de l’hubris des hommes et de leurs machines.
L’Arbre d’or de John Vaillant, traduction de l’anglais (Canada) par Valérie Legendre, Libretto, 336p., 11 €