La magistrale rétrospective David Hockney qui vient d’ouvrir à la Fondation Louis Vuitton nous invite à quelques réflexions sur la place de la peinture figurative aujourd’hui.
Juste avant l’ouverture de son exposition à la Fondation Louis Vuitton, David Hockney s’est vu refusé par la RATP l’affiche le présentant une cigarette à la main tenant un tableau dans lequel il s’est peint, exactement dans la même position. Ironiquement, cette mise en abyme, qui n’est évidemment pas anodine, nous met au défi de penser, ou non, qu’il s’agit exactement de la même image. En d’autres termes, peut-on dire qu’une représentation peinte singe stricto sensu le réel, ou se doit-elle, philosophiquement, de transcender ce premier niveau de signification ? On revient inévitablement à l’allégorie de la Caverne de Platon, dont un tableau peint est sans doute le plus beau miroir. Les ombres projetées sur un mur ne sont que l’illusion de la réalité. Lorsqu’une peinture porte en elle ce double sens métaphysique, elle atteint souvent son but, à savoir, ouvrir notre imaginaire et questionner notre réalité – notre époque – en donnant l’illusion de la représenter. Le choix de l’affiche de David Hockney, confrontant portrait photographique et projection de son autoportrait peint dans cette même photographie ne dit pas autre chose. Ce dernier ne représenterait pas simplement le peintre en train de fumer mais bien David Hockney, un des artistes les plus côtés et les plus connus aujourd’hui, monstre sacré de notre époque, que la cigarette, inséparable de son personnage, identifie. Hockney sans sa cigarette, ne serait plus Hockney. Celle-ci prend en quelque sorte le statut d’attribut symbolique intégré à un tableau, image tout aussi symbolique. En cause dans la polémique autour de l’affiche, la loi Evin interdisant des images ou publicité pro-tabac. Le peintre s’en est fortement offusqué, raillant le fait que si l’image photographique a été mise en cause, la représentation peinte, elle, a été moins écornée, alors qu’elle montre, croit-on, la même chose. Cette affaire, dont on ne discutera pas ici l’aspect légal, est donc, plus largement, au regard de l’histoire de l’art, une énième convocation de la question de la représentation.
Qu’est-ce que le réel ? Qu’est-ce que reflète du réel le miroir de la peinture ? Il n’est pas étonnant que cette anecdote surgisse précisément aujourd’hui alors que le paysage artistique français est de nouveau dominé par la peinture figurative dont l’enjeu majeur est justement la représentation du réel. Début avril, ce phénomène a été particulièrement manifeste sur la foire Art Paris qui regorgeait de cette nouvelle peinture figurative, notamment dans la jeune création. Si l’on doit s’en réjouir, au regard d’une histoire récente au cours de laquelle les galeries et les institutions françaises avaient plutôt méprisé cet art de chevalet, il semble que l’on soit cependant peut-être arrivé à un effet de saturation – faisant suite à un phénomène de spéculation récemment terni par le contexte géopolitique mondial. À part quelques beaux résultats, les ventes se sont révélées fort calmes, malgré une fréquentation pourtant en hausse de la foire. Certains observateurs, croisés dans les allées, déploraient même une surdose de cette nouvelle tendance que l’on pourrait qualifier de « littéralisme ». Portraits néoclassiques d’une impeccable composition… Dans ce cas, la peinture semble être la projection non de la réalité, mais d’une image Instagram. Rien ne dépasse, et rien, hélas, n’est dit si ce n’est que des jeunes gens sur un rocher sont des jeunes gens sur un rocher, qu’une danseuse est une danseuse et qu’une cafetière est une cafetière. Peu de distance critique donc, encore moins de défi formel, même si la technique peut être maîtrisée. Évidemment, la foire montrait également des pépites remarquées mais la tendance générale était bien à cette mode littérale qui ne peint plus la réalité de notre temps alors même que celle-ci a basculé ces derniers mois dans une inquiétante crise politique et économique. À l’inverse, il semble que nous n’avons jamais vu autant de tableaux sages et policés… Dans la plupart des cas, notre époque et ses enjeux universels, à part écologiques, n’est donc pas représentée. Combien de « peintres néo-pompiers », pour reprendre l’expression de Harry Bellet dans Le Monde qui soulève ici un point important, nous incitant à revenir, simplement à la signification de la peinture. Que veut-elle dire ? Qu’est-ce que la peinture ? Quelle est son ambition ? À chercher, on a bien du mal à définir ce que cette nouvelle peinture figurative, qui semble n’être qu’une collection d’images, veut nous dire sur nous et notre époque. Où est cette matière, où sont ces reliefs, ces lumières, ces couleurs, ces aplats qui « aident à glisser au moment où l’objet attendu n’est plus rien, sinon cette sensation inattendue, cette vibration pure et suraiguë qui s’est rendue indépendante de la signification prêtée », comme l’écrit Georges Bataille au sujet de Manet ? La peinture, ombre portée vibrante de poésie et de symboles, se trouve bien là dans les œuvres de David Hockney qui, sous leur apparente représentation d’un quotidien empli de lumière et de joie, nous disent tout de la complexité et de la profondeur de la vie – et de la peinture, qui loin d’être juste la réalité d’un médium est bien le sentiment de notre immortalité. Ceci n’est pas une image, ceci est un tableau.
Visuel : David Hockney
« May Blossom on the Roman Road » 2009
Huile sur 8 toiles (36 x 48″ chacune) 182,88 x 487,7 x 0 cm (72 x 192 x 0 pouces) © David Hockney | Crédit photo : Richard Schmidt