Carole Benzaken prend ses quartiers au musée Marmottan Monet et vient dialoguer avec le maître de l’impressionnisme…

            Ses yeux brillent, ses bras s’agitent, Carole Benzaken, intarissable, passionnée, nous communique l’amour des liens invisibles qu’elle perçoit entre chacune de ses toiles. Correspondances secrètes, comme celles qu’elle a cherché à créer au musée Marmottan Monet qui l’invite cet hiver pour un « dialogue inattendu ». Les Monet sont là évidemment, parmi les plus beaux. Marmottan est à cet égard un lieu unique, écrin de l’iconique Impression soleil levant. Mais c’est aussi la demeure d’un collectionneur érudit, ce qui est beaucoup moins connu. C’est pourquoi les salles renferment du mobilier Empire et une bibliothèque de manuscrits très précieux. L’esthète, Paul Marmottan, était aussi un bibliophile. Des dialogues inattendus, le musée en a donc l’habitude. Cela tombe bien car Carole Benzaken aime créer des rencontres improvisées. Comme le jour où la maison Isidore Leroy la contacte afin d’imaginer un immense papier peint sur le motif d’une bibliothèque. Il faut dire qu’elle a déjà ce goût immodéré pour le all-over, cette manière de peindre qui sature la toile au point que le regard est happé, noyé, enveloppé. Elle s’était fait connaître avec ses immenses tulipes dont elle avait réussi à détourner le côté pop pour en faire des morceaux figuratifs transformés en pure abstraction, non dénuées d’expressionnisme. Dans son travail, se trouve aussi la mémoire de Monet qu’elle découvre à 17 ans, à Marmottan justement. Ce Monet des dernières années qui lui aussi recouvre la toile entière et oblige notre regard à boire les couleurs. Un choc visuel. « C’est ma madeleine de Proust » dit-elle. Et c’est vrai que ce musée a quelque chose de proustien. Il laisse des images rémanentes dans nos rétines. Jouissance chromatique aussi, la même qu’elle retrouve chez Joan Mitchell – cette dernière était aussi très inspirée par Monet au point de décider d’habiter à Vétheuil. « Un jour, en 1992, je suis allée la voir à Vétheuil. J’ai commencé à faire quelques tulipes sur une feuille et elle a apposé des bleus. Œuvre à quatre mains sans laquelle je ne peux vivre aujourd’hui ». Voici ce passage de témoin. Monet, Mitchell, Benzaken. Et lorsqu’on déambule dans l’installation que l’artiste a créée à Marmottan, ses couleurs semblent répondre aux vibrations de Monet tandis que ses grands lais représentant des armoires de bibliothèques rejouent l’intérieur d’un collectionneur. Et pour la première fois, elle a réalisé une sculpture en carton-pierre d’une chaise un peu surréaliste. Clin d’œil à la passion de Paul Marmottan pour les chaises Empire ? Au milieu des enluminures, elle est venue poser un immense rouleau peint qui suit, chaque jour, le fil de son imagination. Œuvre toujours en cours de création qu’elle a commencé en 1989 et qui a les allures d’une ligne du temps. « C’est un prolongement de moi-même, une forme de vie » lance-t-elle. On regarde à nouveau ses peintures, leurs compositions en grille qui se muent en kaléidoscopes, leurs reflets, leurs contrastes. Tableaux mosaïques, éclatés. Pour échapper à l’image ? Ou plutôt, échapper à la représentation ? Benzaken, comme Monet, comme Mitchell, ne veut jamais que tout se révèle.

Carole Benzaken, Morceaux choisis. Les Dialogues inattendus Opus 8, jusqu’au 16 février 2025, Musée Marmottan Monet, marmottan.fr

Illustration : Vue de l’exposition Morceaux choisis de Carole Benzaken dans la salle des « Dialogues inattendus » du musée Marmottan Monet © Studio Christian Baraja SLB.