Avec Il ne faut jurer de rien et Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Eric Vigner sert à merveille la langue de l’auteur des Comédies et Proverbes. Une réussite au Théâtre 14.
Il a de soudains accès cavaliers qui lui font piétiner le sol à la manière d’un cheval. De quoi agacer son oncle qui malgré tout se prend au jeu et cavale à son tour : cataclop, cataclop… Plus tard c’est passablement ivre que l’oncle, Van Buck de son nom, sera porté par le neveu Valentin. Ce Valentin piaffant et frimeur vit par ailleurs sur le dos de ce parent généreux, lequel paie ses dettes et lui destine une épouse richement dotée en la personne de Cécile de Mantes, demoiselle que sa baronne de mère est prête à marier. Problème, Valentin ne voit dans le mariage que l’occasion « d’être ganté », autrement dit cocufié. Une rencontre entre les jouvenceaux est prévue au domaine de la Baronne. Mais Valentin veut d’abord séduire Cécile en se faisant passer pour un autre, prouvant ainsi à son oncle la frivolité des femmes. Cette intrigue charmante et fort drôle imaginée par Alfred de Musset dans Il ne faut jurer de rien, Eric Vigner la met en scène dans un espace dénudé avec pour seuls éléments de décor quelques panneaux percés de trous. Créé en janvier avec les élèves de la promotion 11 du Théâtre National de Bretagne, son spectacle est un pur délice où brille en particulier la comédienne Esther Armengol dans le rôle de Cécile que l’on découvre jouant négligemment avec une balle qu’elle fait rebondir. Mais tous les comédiens assument impeccablement leur partition dans cette comédie traitée sur un mode légèrement stylisé dont l’abstraction donne encore plus d’effet aux situations souvent hilarantes. Vite démasqué, Valentin est séduit d’emblée bien qu’il s’efforce de n’en rien laisser voir. Au lieu de s’adresser directement à Cécile, il lui écrit des lettres alors qu’elle se trouve en face de lui. Le plus amusant étant sans doute la façon dont la Baronne et Van Buck ainsi qu’un abbé, ami de la famille – il porte des lunettes noires – les observent cachés derrière un buisson, scène qu’on croirait sortie tout droit d’un roman de Witold Gombrowicz.

Le théâtre de Musset sied particulièrement bien à Eric Vigner comme en témoigne la mise en scène d’une précision diabolique qu’il signe de la pièce Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, créée en 2024. On y retrouve les mêmes panneaux perforés et ce choix d’un jeu proche de l’abstraction extrêmement tenu, voire tendu au service d’un dialogue remarquablement restitué par Christelle Tual dans le rôle de la Marquise et Thibault de Montalembert dans celui du Comte. Dans cet échange où se mêlent la glace et le feu, la Marquise désarçonne celui qui, venu la visiter et lui faire la cour, n’est pas tant rejeté que moqué. Désavoué – mais est-ce pour de bon ? – le Comte défend sa cause. Puis agacé s’approche de la porte pour sortir. « Venez ce soir au bal, nous causerons », dit la Marquise. À quoi l’autre répond : « Ah ! Parbleu, oui, causer dans un bal ! Joli endroit de conversation ». Il ne part pas. Impossible. Dehors, il pleut des cordes. La discussion se poursuit de plus belle, pleine de reproches de part et d’autre. Derrière leurs griefs, une explication : la jalousie. Leurs échanges sont troués de silences. Avec ces intermittences et l’impeccable distanciation de leur jeu, Eric Vigner souligne, au-delà des mots, l’attraction contrariée des corps et le désir amoureux omniprésents mais toujours déjoués, objets d’une joute où l’un et l’autre font assaut d’esprit. Donnons l’avantage à la Marquise reportant jusqu’au bout la décision finale, partir ou rester. Beau travail.
Il ne faut jurer de rien, d’Alfred de Musset, mise en scène Eric Vigner / Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, d’Alfred de Musset, mise en scène Eric Vigner / jusqu’au 20 décembre au Théâtre 14, Paris (75014). En savoir plus











