Au Ballet du Grand Théâtre, le line-up impressionne : Cherkaoui, Jalet, Abramovic et Tim Yip pour Pelléas et Mélisande, un Boléro orbital et la décoiffante valse du Bal impérial.

Genève est connue pour l’ONU et son Grand Théâtre. Et puis, il y a le CERN, impérieux accélérateur de particules. Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramovic s’en sont-ils inspirés ? Tout s’en rapproche, dans leurs deux créations communes, quand les danseurs du Ballet du Grand Théâtre peuplent des sphères circulaires en reprenant ces œuvres stellaires. Il y avait d’abord ce Boléro, repris en 2017 à l’Opéra de Paris, puis Pelléas et Mélisande, créé dans la foulée et dans une idée similaire, à la fois archaïque et futuriste. Les deux œuvres semblent se confondre un peu quand Cherkaoui parle de « symétrie organique », d’un « sol miroir », de « grands écrans ronds » et de sphères où « tout est dans le reflet » alors que le décor « prend la forme d’un orbe ». A la fois céleste et macabre, Boléro est habillé par Givenchy. En 2018, c’est la styliste Iris van Herpen qui se laisse inspirer par Maeterlinck. Troublante coïncidence : au moment où Cherkaoui et Jalet créent leur Boléro, van Herpen visite le CERN et s’en inspire. Non sans y retourner. En 2025, elle y met en scène l’une de ses collections, dans la continuité de ses recherches qui se rapprochent des arts plastiques. Cherkaoui apprécie. La robe que van Herpen imagina pour Mélisande en 2018 façonne selon lui « un corps presque comme un insecte, dans une forme de géométrie naturelle ». Comme pour Boléro, Marina Abramovic signe la scénographie. Elle crée ici d’énormes cristaux, inspirés de grottes mexicaines, pour un monde irréel où la danse « rend palpable la musique et évoque la forêt, les cheveux de Mélisande ou des doubles des personnages ».

Cherkaoui est un homme qui laisse parler la conscience et le cœur : « Mélisande vit avec son mystère, dans une société patriarcale où Golo est peut-être l’homme le plus jaloux et le moins capable d’être un leader. » Mais alors, comment en vient-il à créer une nouvelle pièce autour de la tradition du bal et de la musique de Johann Strauss ? Il compte bien casser là aussi quelques codes de la tradition patriarcale et impériale, d’autant plus que la pièce participe des festivités viennoises pour le bicentenaire du compositeur autrichien (1825-1899) : « La figure de la femme va être très importante, elle va tout porter alors que je vois les hommes comme des combattants qui n’arrêtent jamais de s’entretuer et d’essayer de séduire pour s’entretuer encore plus. » Et une fois de plus, les costumes vont à eux seuls incarner le drame. Mais ils sont ici l’œuvre de Tim Yip, artiste visuel, designer, scénographe, styliste et tutti quanti. Le Hongkongais habille les personnages de Bal impérial de costumes qui sont « comme découpés » et laissent entrevoir, de façon métaphorique, « tout ce qu’on a l’habitude de cacher ». Car Cherkaoui entend ici faire valser pour montrer « comment on se fait violence en faisant semblant que la violence n’existe pas ». Et ce en instaurant une incertitude fondamentale face aux danseurs. Car il s’agit de proposer « un bal où les spectateurs feraient peut-être partie des invités. » Avec ce but ultime : « Faire en sorte que les choses se frottent les unes aux autres », histoire de ne pas oublier que cet homme si paisible reste « un artiste un peu rebelle ».

Pelléas et Mélisande – du 26 octobre au 4 novembre

Boléro / Bal impérial – du 19 au 25 novembre