Rencontre avec Pierre Arditi, dans sa loge du Théâtre Montparnasse, pour parler de son premier livre, Je me souviendrai de tout, un autoportrait proustien de l’acteur le plus libre du théâtre et du cinéma français.
« La petite rampe qui est dans l’escalier, vous l’avez vu en arrivant ? » Non, dois-je avouer à Pierre Arditi, je n’ai pas fait attention à la rampe des escaliers qui mène aux coulisses du Théâtre Montparnasse où nous sommes, « et bien c’est moi qui ai demandé qu’on l’installe. C’est insupportable ». Pierre Arditi n’aime pas vieillir, encore moins jouer les vieux cons. Il choisit alors la voie royale de l’acteur, il dialogue avec la mort, sur scène, six jours sur sept et dans un livre merveilleux qui vient de paraître, Le Souvenir de presque tout. Mémoires fragmentées, portrait chinois, ce livre composé de brefs chapitres raconte une vie par des visages, des scènes, des détails, ou des coups de gueule. Il s’agit d’une conversation, comme le sont toujours les livres justes. Il commence par ceux à qui il doit, tout, ou presque, ses parents. D’emblée, il nous fait entrer dans l’atelier parisien du père, « temple baigné de doux effluves de térébenthine » où règne le peintre George Arditi, « long chat noir » qui rentre au soir dans l’appartement familial, sur le même palier, où les deux enfants dorment dans le salon, et attendent d’être initiés à l’art paternel, « ce monde où le monde n’aurait pas de fin ». Nous voilà donc dans cette famille où ne règnent que le goût de l’art, du théâtre, et l’amour des parents. Car ensuite, Pierre Arditi évoque sa mère, et cette disparition insupportable, « ça ne finit pas une mère, ça ne cesse de commencer. Ça traverse les murs, les tombes, le temps. ». La famille Arditi, c’est d’abord cette histoire d’amour, entre la bretonne Yvonne et Georges Arditi, issu d’une famille juive de Salonique et de Bulgarie, et affilié aux Canetti. Si Georges réussit à échapper à la déportation, ce ne sera pas le cas de son frère, mort à Auschwitz. Mais ce sujet-là n’est pas abordé dans le livre de Pierre Arditi qui insiste sur la dimension heureuse, gracieuse même d’une enfance rue des Martyrs, auprès de parents aimant qui lui parlent d’art, de littérature, l’initient au théâtre grâce aux décors que peint son père, et d’une sœur qui l’emmène à son premier cours de comédie. Arditi raconte aussi ses débuts dans le théâtre public, sa rencontre avec Laurent Terzieff, Marcel Maréchal, la découverte fondamentale de la Méthode Stanislavski qui le guide sur scène, comme devant la caméra. Car le cinéma n’est pas absent du livre, même si l’acteur entretient un rapport plus tourmenté avec la caméra, les stars, (il n’en a connu que deux, Bardot et Delon ) et la rivalité qui y règne pour « être dans le plan ». Mais enfin, il écrit de très belles choses sur Alain Resnais qui lui a offert ses films cultes, que sont Mélo, Smoking et No Smoking, et l’ont hissé au rang des acteurs français les plus aimés du public. Arditi, pour qui vie et théâtre ne sont qu’un chemin qui mène à l’autre, se confie de manière parfois très intime, ainsi lorsqu’il raconte une tentative de suicide, à vingt ans, pour une fille qui l’avait quittée, qui s’appelait Anne W., et comme cette expérience a fait de lui, paradoxalement, un acteur. Ces fragments écrits d’une plume alerte, souvent lyrique, dépeignent un homme qui a su faire de sa nature sensible et émotive un art d’être, et de jouer sur une gamme immense. Car c’est là sans doute la singularité d’Arditi, il prône cette liberté de passer d’En attendant Godot aux Acteurs de Blier, de Mélo d’Alain Resnais à Art de Yasmina Reza, petits chefs-d’œuvre, apparemment étrangers les uns aux autres. Aujourd’hui, c’est dans le théâtre privé qu’il joue et nous reçoit. Il nous attend dans sa loge, à l’arrière du Théâtre Montparnasse. Lieu qu’il connaît bien, il y a déjà joué cinq ou six pièces, et actuellement, Je me souviendrai de presque tout. Une comédie qui parle de la mort, un drame qui nous mène au rire. Trois hommes se confrontent, le père, le fils, le petit-fils. Trois rapports à l’existence, et désirs urgent de parler d’amour, alors que la mort guette. Pour faire rire son public, Pierre Arditi meurt sur scène, deux fois. Clin d’œil à la grande peur de l’année dernière, lorsqu’il eut un malaise, réel cette fois, face au public dans Lapin. On ne lui parlera pas de Molière et de sa fin spectaculaire, même si lui-même, au cours de la pièce, apprend à son petit-fils à dire les premiers mots du Misanthrope, qu’on peut passer toute une vie à essayer de dire juste, murmure-t-il. Non, nous ne parlerons pas de Molière, parce que dans cette loge qu’il a voulu rouge, face à cet homme facétieux et entier, nous avons surtout envie d’écouter cette voix inimitable nous raconter un homme auprès de qui il court et qu’il rejoint parfois, écrit-il, et qui s’appelle Pierre Arditi.
Comment est né le désir d’écrire ce livre, qui est votre premier ?
J’ai voulu raconter ma manière de traverser la vie, plus que de signer une réflexion sur le théâtre. Remarquez, le théâtre aussi, c’est une manière de traverser la vie…Même s’il y a des moments où la vie et le théâtre ne font qu’un, par exemple quand j’essaie de me foutre en l’air à vingt ans, et que je découvre que mon égarement sentimental va me permettre de faire du théâtre. Mais ce n’est pas pour ça que j’ai écrit ce livre : j’avais envie de régler un compte avec l’écriture. J’avais écrit le texte sur la mort de ma mère il y a vingt ou vingt-cinq ans sous le sceau de la douleur, me disant qu’il fallait que je torde le cou à ce truc-là, et à un moment donné, je me suis recollé dedans, parce que Philippe Héraclès du Cherche-Midi, me disait, « écris, écris », comme mon père m’avait dit à l’adolescence, « lis, lis ». Je m’y suis mis, moins pour répondre à sa demande, que pour répondre à ce que j’avais envie de dire. J’ai donc repris ce premier texte sur ma mère, sans le retoucher, parce qu’il correspond, même encore maintenant, à ce que j’ai vécu, et à ce que je ressens.
La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge
Le souvenir de presque tout, Pierre Arditi, Editions du Cherche-Midi, parution le 13 novembre 2025












