L’Opéra national du Rhin a choisi, pour sa première production mise en scène de la saison, Otello de Verdi d’après Shakespeare, sous la direction de Speranza Scappucci et mis en scène par le jeune américain Ted Huffman.

La nouvelle est tombée à point nommé : Ted Huffman, le metteur en scène de cette production (à lire notre interview), vient d’être nommé ce lundi à la tête du Festival d’Aix. Cet Otello peut alors être considéré comme la première œuvre de la nouvelle phase de sa carrière, même si la production était prévue de longue date. Fidèle à son esthétique moderne et épurée, Huffman signe également le décor, minimaliste : un espace clos encadré de trois murs blancs, inspiré du théâtre élisabéthain qui, selon ses mots, « ne recourait à presque aucun décor autre que l’espace scénique lui-même ». Ici, cet espace semble symboliser un univers psychologique sans échappatoire, conduisant inévitablement à la tragédie.

Dans la première partie, les chanteurs demeurent assez statiques ; seuls les scènes de combats assurés par des « artistes de complément » (ou danseurs) viennent animer le plateau, évoquant plutôt des rixes entre bandes rivales. Pour construire sa mise en scène, Huffmann s’appuie sur des photographies des années 1950-60, celles d’« une Méditerranée mi-violente, mi-glamour, marquée par une virilité exacerbée ». Les costumes d’Astrid Klein, situés au milieu du XXe siècle, traduisent certes l’atemporalité de l’histoire, mais atténuent la dimension dramatique profondément ancrée dans notre imaginaire collectif, où les éléments historiques participent pleinement au mythe.

Cette réserve mise à part, les éclairages conçus par Bertrand Couderc offrent de très beaux effets : projections d’ombres de la foule et des personnages principaux sur le mur du fond à l’acte I, à la manière d’ombres chinoises, ou l’éclairage général mais intenses sur l’avant-scène — y compris les colonnes qui l’encadrent — pour souligner les tourments intérieurs des protagonistes, notamment aux actes III et IV. Ces jeux de lumière agissent comme autant de zooms sur leur psychologie. C’est d’ailleurs dans la seconde partie, après l’entracte, à mesure que le drame se resserre, que le spectateur se trouve véritablement happé.

La production est dominée par la soprano franco-guatémaltèque Adriana González. Son timbre dense et profond, son expressivité, sa théâtralité et son engagement dans le rôle font d’elle une Desdemona exceptionnelle. À ses côtés, le ténor géorgien Mikheil Sheshaberidze, dans le rôle-titre, ne semble pas avoir trouvé, en cette soirée de première, un équilibre technique juste. Le baryton polonais Daniel Miroslaw incarne quant à lui un Iago d’une froideur glaçante, fomentant son plan avec une impassibilité narquoise.

À la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Speranza Scappucci dirige avec fougue et ardeur, révélant parfois une certaine âpreté conforme aux passions exprimées. Les cordes sont loin d’être lisses, à l’image des tourments qui agitent les deux époux. Le chœur, réunissant ceux des Opéras nationaux du Rhin et de Lorraine, produit un bel effet de masse, qui pourrait encore gagner en ampleur au fil des représentations, afin d’accentuer davantage les conflits intérieurs des personnages qu’il commente et complète.

En somme, cet Otello, d’une grande sobriété scénique, trouve sa pleine force dans la voix ardente d’Adriana González.

Otello, Verdi, direction musicale Speranza Scappucci, mise en scène Ted Huffman, Opéra du Rhin, jusqu’au 18 novembre. Plus d’infos sur https://www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2526/opera/otello