Avec Sur les rails, création itinérante de La Colline-Théâtre national, Valérian Guillaume et Simon Jacquard inventent un projet poétique et urbain, inspiré d’un «homme-bus». Rencontre avec Valérian Guillaume.

Comment est né ce projet ?
Tout est parti d’une figure bien réelle, Martial Richoz, l’homme-bus de Lausanne. Dans les années 1980, il parcourait la ville en imitant les sons des trolleybus et transformait l’espace urbain en théâtre imaginaire. Depuis longtemps, je m’intéresse aux dramaturgies de la marge et aux paroles des périphéries, et cette figure s’y est inscrite naturellement. Elle évoque le mouvement, la liberté et le jeu. Martial rêvait de devenir chauffeur, mais sa singularité l’en a empêché. Alors, il a tracé ses propres rails sur les trottoirs. Son histoire relève d’un véritable geste d’art brut.
Que représente-t-il pour vous ?
Martial Richoz est à la fois une figure poétique et un miroir de notre époque, qui interroge la frontière entre la norme et la folie. Interné à la suite d’une simple pétition, il incarne la peur que la société éprouve face à la différence. J’ai appris sa mort en 2024, au moment où le projet prenait forme. J’ai imaginé alors un dialogue posthume, une manière de prolonger son geste et de laisser ses rails traverser nos imaginaires.
Votre pièce n’est donc pas une biographie ?
Je ne voulais pas raconter sa vie, mais en faire un mythe contemporain. Dans mon travail, la marge reflète toujours le monde. L’homme-bus parle de chacun de nous, de nos rails intérieurs, de la façon dont les paysages façonnent nos langages et nos gestes.
Comment le projet a-t-il pris forme avec La Colline ?
Simon Jacquard et moi avons obtenu une bourse de création destinée à un duo auteur-acteur. Ce n’était pas une commande, mais un espace de recherche libre. Le texte, après des années de maturation, s’est imposé d’un seul souffle, écrit comme on prend un train dans la nuit, pour citer Truffaut. Au moment où La Colline entamait ses travaux, Wajdi Mouawad et son équipe nous ont proposé de poursuivre le projet hors les murs. Par ailleurs, cette forme itinérante est destinée à terme à être un spectacle en boîte noire, Qui c’est celui-là ?, qui verra le jour la saison prochaine au TNB.
Où jouez-vous ?
Nous investissons des espaces du quotidien : La Villa Belleville, la mairie du XXᵉ, Césure ou La Lucarne d’Ariane. Chaque lieu devient une halte, un décor à réinventer. Jouer là, c’est faire résonner la poésie de l’homme-bus au cœur de la vie ordinaire, relier ces endroits comme les stations d’une ligne imaginaire.
Comment la pièce se présente-t-elle sur scène ?
Tout est épuré : un tapis, un acteur, deux enceintes. Simon Jacquard incarne tous les personnages, du chauffeur aux passagers, en passant par les amours rêvées. Il devient un corps-orchestre, un monde en mouvement. Le texte suit quatorze stations, spirituelles et géographiques, qui dessinent un itinéraire intérieur.
Cette pièce s’inscrit-elle dans un ensemble plus large ?
Elle prolonge Nul si découvert, ma première création, et précède peut-être La Destination, adaptation de mon roman publié chez Actes Sud. Ces trois œuvres forment une trilogie de la marge. Elles explorent ce que la société relègue et révèlent la beauté singulière qui surgit toujours aux bords du monde.
Sur les rails de Valérian Guillaume. Du 4 au 15 novembre dans le cadre de La Colline hors les murs.










