La grande foire internationale d’art se tient au Grand Palais du 24 au 26 octobre. D’autres lieux prestigieux de la ville accueillent des pièces uniques pour de passionnantes confrontations avec l’Histoire. Dérives en dix chapitres…

Art Basel à Bâle est devenue la foire la plus prestigieuse grâce entre autres à la section Unlimited qui accueille des œuvres monumentales. Si le Grand Palais, où se tient Art Basel Paris, ne permet pas d’accueillir cette colossale exposition, la foire se déploie dans la ville avec le Programme Public. Loin du classicisme de la sculpture publique, installée ici pour honorer un grand homme, là pour rappeler un fait historique, des œuvres d’art contemporain y rencontrent les monuments historiques. Parfois drôle, parfois choquante, cette confrontation peut provoquer les premiers émois artistiques et permet de rencontrer un public plus large, qui n’a rien demandé, n’a pas poussé la porte d’une galerie ou d’un centre d’art et n’a pas eu besoin (ou envie) de payer pour découvrir les stands. Ainsi certains s’amusèrent de voir le Manneken-Pis version féminine d’Elsa Sahal dans le jardin des tuileries à l’époque de feue la FIAC. D’autres crièrent au scandale face au plug anal de Paul McCarthy installé au milieu de la place Vendôme. L’année dernière le champignon de Carsten Höller fit un meilleur effet. Le pari de l’art dans la ville est toujours risqué, mais, loin d’entériner une haine du contemporain, il attire de nouveaux amateurs vers cet art qui raconte, quoi qu’on en dise, l’esprit de l’époque.

De l’époque, voir du jour, car, certes, ce n’est pas ici que les « pendules tournent à contre-sens », comme dirait Antonio Lobo Antunes, et un Harry Nuriev, ou le duo Muller Van Severen, placent nettement le curseur sur le présent – celui du quotidien et de l’immédiateté de la sensation. Pour autant, nul symptôme d’amnésie, cette tragédie de la mémoire, dans des œuvres qui rêvent d’immémoriaux commencements (Wang Keping), s’abreuvent à la fraîche fontaine des mythes (Vojtěch Kovařík), retracent le cours de la destinée humaine (Helen Marten), vont chercher leur substance dans l’histoire de l’art (Nate Lowman) ou s’efforcent d’épouser le pouls et les oscillations contradictoires de l’Histoire (Julius von Bismarck). Rêverie ou concept, l’Histoire est une étrange créature composite, un peu mythique elle aussi sans doute, aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que, comme les dames du temps jadis, elle se promène dans les jardins textiles de Joël Andrianomearisoa tout en revêtant, chez Alex Da Costa, les traits d’un emblème de la culture pop, Kermit. Paris, « ville d’Histoire » ? C’est un cliché, peut-être, mais tous les clichés ont un fond de vérité – et le Programme public d’Art Basel Paris ne fait que le confirmer. Aude de Bourbon Parme et Damien Aubel

Place Vendôme

Alex Da Corte – Kermit the Frog, Even

Présenté par la galerie Sadie Coles HQ

Sur la place Vendôme, l’extravagant, voire le sulfureux et le polémique priment toujours durant la foire Art Basel Paris. L’endroit se doit d’accueillir une œuvre monumentale volontiers extraordinaire. On se souvient de Tree, le sapin vert rapidement rebaptisé « plug anal » de Paul McCarthy qui avait défrayé la chronique en 2014 pendant la FIAC. Plus récemment, plus sages, bien que toujours assez ludiques, on a pu voir une immense sculpture historique de Calder, une vague miroitante d’Urs Fisher, un champignon design de Carsten Höller ou une citrouille de Yayoi Kusama. Cette année, c’est l’Américain Alex Da Corte (né en 1980 à Camden) qui investit la prestigieuse place avec une immense sculpture gonflable qui flotte au vent autour de la colonne. D’un vert éclatant, dotée de bras géants, Kermit la Grenouille prend vie. Cependant, ce joyeux « muppet » si populaire aux Etats-Unis, qui survole chaque année la grande parade de Thanksgiving, s’était déchiré sur la 5e Avenue en 1991. C’est cet épisode, symbole d’un désenchantement collectif, que l’artiste rejoue ici. Alex Da Corte ne cesse de mettre en scène des icônes de l’univers de l’enfance et de la culture populaire américaine dans des installations ultra-colorées où le psychédélique se mêle au mélancolique, soulignée par des matériaux aux rondeurs tendres, ballons, moquette, mousses et autres liquides fluorescents. Une esthétique certes rêveuse et magique mais servant aussi un goût pour la critique de la société actuelle. À la manière d’un néo-pop art aux illusions perdues et à l’onirisme exacerbé. Si Paris est une fête, ici la fête est peut-être bientôt finie…

Photo : Alex Da Corte, Performance view, Kermit The Frog, Even, Fridericianum, Kassel, 7 September 2024. © Alex Da Corte. Courtesy the Artist and Fridericianum, Kassel. Photo: Nicolas Wefers


La suite du dossier est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge