Les deux chefs d’œuvres de vérisme, Cavalleria rusticana de Mascagni et Pagliacci de Leoncavallo, sont à l’affiche de l’Opéra-Orchestre National de Montpellier, en un seul spectacle, pour l’ouverture de la saison. 

La soirée plonge dans une atmosphère sinistre où règnent la méfiance et la souffrance, dans une jalousie amoureuse poussée à l’extrême. Cavalleria rusticana se déroule dans un village sicilien, la jeune Santuzza aime Turiddu, un soldat revenu de la guerre. Mais celui-ci a renoué avec son ancienne amante, Lola, désormais mariée à Alfio, un riche charretier. La jalousie et la passion s’enflamment : trahison, humiliation et vengeance mènent à un drame sanglant où l’amour devient fatal. Pagliacci situe situe l’intrigue dans un village de Calabre. Une troupe de comédiens ambulants arrive, menée par Canio et sa femme Nedda. Le clown difforme Tonio tente de séduire Nedda mais repoussé, il promet vengeance et espionne Nedda avec le jeune Silvio. Le soir du spectacle, Canio, fou de jalousie, demande le nom de son amant à Nedda, en confondant théâtre et réalité : il tue Nedda puis Silvio sous les yeux du public qui croyait jusque-là à une représentation. « La commedia è finita » déclare Canio, mais c’est trop tard…

La scène figure un amphithéâtre de béton délabré et tagué, dans la banlieue d’une grande ville. En haut, côté cour, une immense croix de néon évoque une église derrière une clôture de fil de fer. Ce décor, transposant avec justesse la « vérité dramatique » de la fin du XIXe siècle à notre époque, s’avère particulièrement efficace dans Pagliacci, où l’amphithéâtre devient gradin de cirque. Le chœur des spectateurs y trouve toute sa place, entre agitation et ferveur, alors que dans Cavalleria rusticana, les choristes, figés, chantent avec douceur, « Les orangers embaument les verts talus alentour… » dans un cadre qui ne s’y prête guère… Le contraste entre le texte et la scénographie déroute parfois. Depuis les hauteurs du décor, les voix se perdent et résonnent mal, sans doute en raison de la configuration de la salle ; certains échos nuisent aussi à la clarté. Quand les rôles principaux — Turiddu et Canio, incarnés par Azer Zada — manquent de projection adéquate à ce type d’œuvres, l’effet dramatique s’en ressent. Or, la metteuse en scène Sylvia Paoli a eu l’idée d’ajouter un personnage muet : une vieille sans-abri, retrouvée morte au début de Pagliacci, créant un lien entre les deux opéras et une touche de réalisme contemporain.

Dans les deux pièces, Tomasz Kumiega impressionne par sa présence intense grâce à sa puissance vocale et la justesse de son jeu, que ce soit en Alfio ou en Tonio. Marie-Andrée Bouchard Lesieur, bouleversante Santuzza, trouve des phrasés d’une grande justesse et exprime avec « vérité » la détresse d’une femme trahie. En Nedda, Galina Cheplakova séduit par une voix claire, projetée avec aisance, gardant fraîcheur et légèreté. À ses côtés, Leon Kim campe un Silvio juste et vibrant, qui donne envie de l’entendre dans d’autres répertoires. Mention spéciale à Julie Pasturaud, Mamma Lucia émouvante, dont la voix riche apporte un relief au drame.

Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni et Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, 3 et 5 octobre à Opéra Berlioz, le Corum de Montpellier