C’est à l’Opéra de Bordeaux que se joue cette comédie musicale cultissime, Company, signé Stephen Sondheim, renaît ici en français. Un pur plaisir et une vision, nuancée, du mariage…
Company, premier grand succès de Stephen Sondheim en tant que compositeur, place Bobby (incarné ici par Gaëtan Borg) au centre du récit. Le soir de son anniversaire, ses amis s’interrogent : pourquoi est-il encore célibataire à 35 ans ? À partir de cette question s’enchaînent une série de tableaux consacrés au couple. En 1970, lors de sa création à Broadway, la convention sociale voulait encore qu’un couple passe forcément par l’institution du mariage. Or, la comédie musicale explore les multiples facettes de la vie amoureuse : mariages heureux ou mal assortis, liaisons passagères, désirs contrariés — jusqu’à l’évocation, audacieuse pour l’époque, d’une relation homosexuelle. On mesure ainsi à quel point le livret de George Furth se situait à l’avant-garde. Les traductions et adaptation françaises signées Stéphane Laporte — à qui l’on doit déjà Un violon sur le toit, Le Magicien d’Oz ou Mamma Mia ! — impressionnent par leur fluidité. Le texte semble avoir été écrit directement en français, tant les dialogues, essentiels dans cette œuvre, sonnent naturels.

Au-delà des dialogues, les chanteurs-acteurs relèvent un défi supplémentaire : rendre limpides les chansons originales en anglais. Pari largement gagné, notamment par Jeanne Jerosme (Amy), dont la virtuosité dans le numéro étourdissant Getting Married Today force l’admiration. Naïma Naouri, de son côté, affirme sa présence scénique dans Another Hundred People, l’air de Marta, où elle déploie son timbre légèrement voilé. La chorégraphie d’Ewan Jones, loin de rechercher l’effet spectaculaire, parsème partout des ingéniosités subtiles : ainsi du ballet de mains et de bras parfaitement synchronisé sur un long canapé.
La scénographie conçue par Barbara de Limbourg frappe par sa sobriété efficace : quelques canapés et poufs, une table, un lit, une cuisine, un châssis échafaudage. Rien de plus. Mais cet espace se transforme sans cesse grâce aux lumières vives et joyeuses de Christophe Chaupin, soutenues par les vidéos d’Anouar Brissel et Alexandre Michatz. La scène du métro new-yorkais compte parmi les trouvailles les plus inventives de la soirée.
Les costumes de Nathalie Pallandre, aux parfums assumés des années 1960-1970, distinguent immédiatement les personnages et leurs couples. Chaque duo est caractérisé par une couleur ou un style : tailleurs bordeaux pour Joanne et Larry, le couple plus âgé ; costume-cravate mauve pour Paul le jour de son mariage avec Amy en robe de mariée, dont la cuisine se pare de rayures roses bonbon-blanc ; tenues vertes et amples pour la séance de karaté entre Sarah et Harry, etc. Dans un spectacle où quatorze personnages évoluent simultanément, cette lisibilité visuelle facilite l’identification des relations et renforce la compréhension des situations.
L’orchestre, de dimension réduite (quatorze cordes sans altos, un hautbois, des cuivres et des percussions dominées par la batterie), offre pourtant une ampleur étonnante. « C’est l’orchestre de la comédie musicale », explique le chef Larry Blank, figure mythique qui a collaboré avec Sondheim et tant d’autres légendes du genre. Sous sa baguette, la partition déploie toute sa vitalité.
On sort de la représentation à la fois interpellée par la modernité du propos et réjoui par la force comique d’un spectacle où l’on rit, beaucoup, du début à la fin.
Company, de Stephen Sondheim, direction musicale Larry Blank, avec l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, mise en scène James Bonas, Opéra National de Bordeaux, jusqu’au 27 septembre. Plus d’infos sur https://www.opera-bordeaux.com