Le concert de rentrée de l’Ensemble intercontemporain nous a offert une traversée passionnante dans les réinventions de Big Apple par de très grands compositeurs vivants.
City Life, le titre culte de la musique de Steve Reich était ce soir-là à entendre comme une promesse de voyage. Destination New York, vue et réinventée par Tristan Murail, Unsuk Chin et Steve Reich. Trois musiciens aux univers très marqués et reconnaissables, trois musiciens qui approchent the Big Apple, de l’intérieur ou de l’extérieur, bien conscient des légendes de la ville, mais avec la ferme idée d’en offrir leur propre et inédite vision. Car il s’agissait pour tous trois, de nous mener, par des sons volés à la ville ou des références, dans le ventre de cette ville contemporaine.
Les Légendes urbaines de Tristan Murail ont ouvert le bal avec une plongée sophistiquée, très pensée, dans un New York que le Français connait bien, puisqu’il y enseigne de 1997 à 2010, à Columbia . Le compositeur dit lui-même que cette ville lui est « à la fois familière et tout à fait étrangère », et c’est bien ce double mouvement que l’on a entendu dans la musique. Ainsi dans un système de sonorisation qui voyait des musiciens installés aux balcons latéraux, l’on pouvait entendre le jazz cultissime de New York, tout en suivant une partition complexe et ambitieuse, pour vaste ensemble, qui retranscrivait les mouvements d’une ville en perpétuel changement. S’inspirant de Moussorgski et de ses Tableaux d’une exposition, il nous mène de lieu en lieu à New York, n’hésitant pas à faire entendre les bruits habituels de la métropole : métro, souffle de joggers à Central Park, « tourbillons venteux » entre les gratte-ciel. Morceau circulaire qui se clôt sur le chant d’un oiseau, pour nous rappeler qu’aucune ville, même la plus légendaire, ne peut faire taire le simple son sauvage.
Steve Reich, génie des images
Unsuk Chin, elle, avance un peu plus dans cette nature hybride de la ville avec son Graffiti pour orchestre de chambre qu’elle compose huit ans après Murail, en 2013. Si la compositrice coréenne connaît aussi à l’évidence New York, elle nous offre une musique plus sensuelle, nocturne. Inspirée du « street art », elle peut jouer sur les flûtes comme sur un son de cloches pour faire vivre les rues de la ville qui accueillent sur leurs murs les éclats vivants des graffs. D’un accès immédiat et joueur, ce Graffiti offre un instantané de plaisir au spectateur, immergé in medias res comme souvent chez Chin, dans un univers singulier et frappant.
Mais le grand moment du concert, magnifiquement dirigé par Pierre Bleuse, ce fut après l’entracte, City Life. Nul hasard que cette pièce permit, plus que toute autre, de sentir la rue new-yorkaise, ses voix, ses klaxons, sa foule, sa densité. Et son rythme, avant toute chose. Fondée sur l’art répétitif de Reich, ici percussif, la pièce cherche, dit le compositeur, à « inclure dans la structure même de l’orchestre » les sons de la ville. Ainsi entend-on, nous précise le compositeur, une porte de taxi qui claque, et même le battement d’aile d’un pigeon. Mais Reich va plus loin en incluant dans sa pièce les voix de la ville, des slogans d’une manifestation à Central Park, et, à la fin, un hommage est rendu aux policiers et pompiers intervenus lors de l’attentat de 1993, contre le World Trade Center. Reich n’oublie pas que cette ville qui l’a vu naître est un colosse aux pieds d’argile, qui ne tient que grâce aux mille et une variations qui la traversent chaque jour. Reich a ce génie des images qui, à chaque instant de City Life, nous donne à voir les visages de New York. Sens du spectacle, sens de la musique difficile à définir, mais l’Ensemble intercontemporain et Pierre Bleuse nous ont offerts hier soir, un moment new-yorkais hors du commun.
Prochains concerts de l’Ensemble intercontemporain : La Main gauche, de Ramon Lazkano, Philharmonie de Paris, le 3 octobre, Berio&Co, vendredi 24 octobre, Sequenze, le 22 novembre. Plus d’infos sur Philharmoniedeparis. fr