Pour ouvrir sa saison lyrique, l’Opéra National de Bordeaux présente Company, œuvre majeure de Stephen Sondheim, montée pour la première fois en France. Le metteur en scène James Bonas revient sur les choix artistiques derrière ce spectacle incisif et profondément humain.
Company marque le premier grand succès de Sondheim à Broadway comme compositeur. Il aura fallu plus de 50 ans pour que cette pièce soit montée en France. Les premières ont eu lieu en mars à Massy, puis à Compiègne. Quelle a été la réaction du public ?
Jusqu’ici, la réception a été formidable. Le public réagit avec enthousiasme, il se montre sensible à l’univers de la pièce et exprime un véritable attachement aux interprètes. On sent un plaisir sincère et croissant à découvrir la comédie musicale, un genre encore relativement neuf sur les scènes lyriques françaises. C’est fascinant d’observer cette évolution.
La production est signée Génération Opéra, connue jusqu’ici pour la promotion de l’opéra traditionnel. Quelles différences percevez-vous entre chanteurs d’opéra et de comédie musicale ? Cela influence-t-il la mise en scène ?
La formation au théâtre musical repose sur ce qu’on appelle, souvent en plaisantant, la « triple menace » : chant, danse et jeu d’acteur, qui demandent une grande rigueur physique, une sensibilité scénique et une parfaite maîtrise du texte. Les artistes doivent manier à la fois le parlé et le chanté, souvent dans des chorégraphies exigeantes. Les chanteurs d’opéra, eux, se distinguent par une virtuosité vocale remarquable et une capacité à modeler la musique pour incarner leur rôle. Certains développent aussi un vrai talent de narration et un sens du geste qui rapprochent de plus en plus les deux univers. Sur le plan technique, l’absence de micro en opéra impose des contraintes : les mouvements doivent rester compatibles avec la projection vocale et l’équilibre acoustique. En comédie musicale, l’amplification sonore offre une grande liberté scénique. Mais que l’on travaille avec un chanteur, un danseur ou un acteur, la base reste commune : intention, caractère et narration par le mouvement.
Concernant l’adaptation française des dialogues parlés, constatez-vous un changement de rythme par rapport à la version originale ?
Étonnamment très peu, et c’est là tout le mérite de Stéphane Laporte. Sa traduction est d’une finesse remarquable. Elle conserve le ton et l’humour de l’original, tout en résonnant avec le public francophone. Le rythme reste fluide, naturel, et l’esprit de Sondheim est préservé, ce qui est essentiel.
Company interroge le mariage et la construction familiale. En 1970, le livret pouvait choquer. Depuis, le mariage a évolué : union libre, familles recomposées, mariage entre personnes du même sexe, etc. L’œuvre reste-t-elle pertinente aujourd’hui ?
Complètement ! La pièce ne parle pas simplement du mariage, mais de l’engagement, de la peur de la solitude, de notre difficulté à aimer et à être aimé. Ces thèmes sont universels et toujours actuels. Ce qui frappe, c’est à quel point le spectacle garde la modernité. Le public est souvent surpris de voir combien Company reste pertinent aujourd’hui.
Que souhaitez-vous transmettre à travers la mise en scène, ici et en général ?
Le spectacle lui-même. Quand je l’ai découvert à Londres dans les années 1990, j’ai été subjugué. À Massy, une spectatrice s’est tournée vers moi à la fin et m’a dit : « Je ne veux pas que ce soit fini. Je veux que ça recommence. » Quand cela se produit, je suis comblé.
Company de Stephen Sondheim. Grand Théâtre de Bordeaux, du 24 au 29 septembre. direction musicale, Larry Blank, mise en scène, James Bonas.