C’est le spectacle qui ouvre le Festival d’Automne au Théâtre de la Ville : Faustus in Africa !, vision particulièrement féroce et ironique du mythe de Faust par la Handspring Puppet Company mis en scène par le metteur en scène, dramaturge et plasticien sud-africain, William Kentridge. Rencontre.

Présenté en juin à Montpellier dans le cadre du festival le Printemps des Comédiens, Faustus in Africa ! ressemble à une cavalcade frénétique où le texte original est contaminé par l’atmosphère délétère du colonialisme qui a longtemps sévi sur le continent africain. La rapidité avec laquelle les événements s’enchaînent mais aussi avec laquelle Faust, une fois signé son pacte avec Méphisto, passe d’une humeur à une autre, tantôt enjoué ou survolté, tantôt morose comme un enfant capricieux, relève d’une logique de rêve. Alors que résonne un extrait de La Damnation de Faust de Berlioz, la musique s’interrompt brutalement. Des images de billets de banque inondent l’écran. Puis ce sont des publicités coloniales des années 1930 ou 1950 en français. Dans sa frénésie, d’argent, de pouvoir, de sexe, de prédation – une image montre comment l’homme blanc mange littéralement l’Afrique en pillant ses ressources – Faust semble embarqué dans une course insensée contre le temps. Multipliant les séquences imbriquées les unes dans les autres et projetant la représentation sur plusieurs plans, en conjuguant actions scéniques, marionnettes et acteurs, films d’animations, musique et chant, ce spectacle offre un exemple particulièrement frappant de l’art aussi riche que singulier de William Kentridge.

© Fiona_MacPherson

Trente ans après sa création, Faustus in Africa que vous reprenez aujourd’hui se révèle étonnamment en phase avec l’actualité dans un monde où il est de plus en plus question de prédation et d’appropriation de territoires. Comment analysez-vous les échos troublants de l’actualité dans ce spectacle ?

Ce qui est intéressant dans le fait que ce spectacle semble tellement en phase avec ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’une œuvre qui n’a pas du tout changé depuis sa création. C’est exactement le même spectacle qu’il y a trente ans. En revanche pendant les trente dernières années, le monde s’est beaucoup transformé, au point qu’on pourrait dire qu’il a opéré un mouvement de quatre-vingt-dix degrés. Ce qui explique qu’aujourd’hui on voit la même œuvre, mais sous un angle différent. Et de ce fait on découvre d’autres aspects, d’autres éléments qui ont toujours été là mais que l’on distinguait moins à première vue. C’est quelque chose qui nous a tous surpris quand nous avons décidé de la rejouer. L’œuvre n’a pas changé. Ce qui a changé, c’est notre regard.

Le contexte politique en Afrique du Sud était différent à l’époque où vous avez créé ce spectacle, juste après la fin de l’apartheid….

Effectivement Faustus in Africa a été créé à l’époque de la transition entre le régime de l’apartheid et le régime démocratique en Afrique du Sud. La question d’un pacte nécessaire avec le diable si l’on voulait éviter une guerre civile impliquée par cette transition était donc très présente. C’était bien le sujet de la pièce. L’ANC acceptait de ne pas considérer le gouvernement de l’apartheid comme redevable des exactions commises pendant des années, en échange de la paix. Il y avait par conséquent ce casse-tête éthique de l’absence de justice où personne n’aurait de comptes à rendre. C’était il y a trente ans et la pièce a été conçue dans cette atmosphère. Aujourd’hui, on la reprend telle quelle, avec les mêmes marionnettes. Seuls les acteurs et les manipulateurs ont changé, car ceux qui étaient présents à la création sont trop âgés pour jouer.

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

Faustus in Africa !, de William Kentridge, Théâtre de la Ville, du 11 au 19 septembre