C’est un des grands romans de la rentrée littéraire. Pour son deuxième livre, La tentation artificielle, Clément Camar-Mercier plonge le lecteur dans le monde fou de l’intelligence artificielle.

« Depuis plus de quinze ans, il avait décidé de consacrer sa vie à la création algorithmique. Clandestinement, il préparait un garde-fou contre le devenir minable de Sapiens. » Jérémie est un codeur de génie, capable de faire naître de l’intelligence artificielle aussi bien une appli de rencontre qu’un logiciel d’écriture pour scénaristes en mal d’inspiration. Il rêve d’un monde sans poésie, où chaque choix, rationalité oblige, serait confié à la machine. « L’oeuvre de sa vie (…) consistait à fondre le langage en instrument à fondre le langage en instrument et à dépoétiser systématiquement la réalité ». Seulement voilà : la réalité résiste, et notamment son corps, qui se détraque à coups de maladies « pas graves, mais chiantes »…Déboussolé, Jérémie se réfugie à l’abbaye de Solesmes. Rédemption ? Pas si sûr…

© Franck Ferville

D’un sujet qui pourrait paraître dans l’air du temps (l’IA et les catastrophes qu’elle porte en germe), Camar-Mercier parvient à faire l’un des romans les plus singuliers de cette rentrée littéraire. Mais aussi l’un des plus intemporels, puisqu’il s’agit ici de revisiter l’éternel dialogue entre sacré et profane, et la non moins immémoriale tentation du mal. Face au désir d’abdiquer ce qui nous rend humain, que peut le spirituel ? Venu du théâtre, Clément Camar-Mercier avait surgi en 2023 sur la scène littéraire avec Le Roman de Jeanne et Nathan, prix Transfuge du premier roman, romance sur fond d’addiction aux drogues et de tournages porno. Avec La Tentation artificielle, il confirme son talent à mêler les tonalités avec brio. Chez ce lecteur de Bret Easton Ellis, un humour très noir éclate volontiers, au fil des circonvolutions toujours surprenantes d’une narration qui surprend autant qu’elle questionne. Rencontre.

Après les gouffres de l’addiction et de la pornographie, pourquoi explorer ceux de l’intelligence artificielle ?
J’ai d’abord découvert les algorithmes de Tinder parce qu’on m’avait commandé un texte de théâtre sur les sites de rencontre, et cela m’a passionné. Je me suis demandé qui concevait ce genre de choses. J’y décelais le potentiel d’un personnage de roman. Au cours de la même période, je cherchais un lieu pour écrire, et on m’a conseillé une retraite spirituelle dans une abbaye. J’ai choisi Solesmes, la plus proche de chez moi. Cela m’a donné l’idée du roman. Que se passerait-il si on installait un inventeur d’algorithme, cette quintessence de la modernité et du profane, dans un lieu fermé, sacré, comme cette abbaye, qui a quelque chose du dernier temple d’un monde perdu ? Au fond, ce roman est une expérience de chimiste : que se passe-t-il quand ces deux mondes a priori incompatibles se rencontrent ?

Faut-il le lire comme une satire du nouveau messianisme du monde de la tech ?

Oui, parce j’ai été fasciné par cette version moderne de la recherche de la vie éternelle, celle de la Silicon Valley, portée par l’idée que le corps doit être dépassé. Mon héros redécouvre qu’il a un corps, des petites maladies, il est confronté à ce qui fait notre humanité. Le vrai risque de l’intelligence artificielle n’est pas de faire perdre des emplois, même si c’est terrible d’un point de vue social et économique, mais de séparer notre corps de notre conscience. Le danger surviendra au moment où nous déciderons de transférer aux machines nos choix moraux, c’est-à-dire ce qui fait de nous des humains, et où nous nous mettrons aux mains d’un gouvernement des algorithmes. C’est déjà en route : puisque nous avons tous un téléphone prétendument intelligent en poche, beaucoup de nos choix ne sont absolument pas guidés par notre libre-arbitre.  Jérémie pense que le libre-arbitre a mis Sapiens dans une position douteuse, qui le mène à sa propre extinction. Il voit dans l’IA un salut possible pour l’humanité. L’idée du roman est de montrer ce qui se passe si on fait ce choix. 

La suite de l’entretien est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

La Tentation artificielle, Clément Camar-Mercier, Actes sud, 416p., 23€