Orphelin de son directeur, le festival n’a rien perdu de son esprit combatif
L’ère de l’après-Montanari à Montpellier Danse est en train de débuter, et elle s’affiche dans la continuité, notamment parce que la programmation de cette 45e édition est signée de celui qui comptait bien nous y accompagner (avec le concours de Maïwenn Rebours), mais aussi parce qu’il y a d’autres traditions à Montpellier autour de la danse. Aussi on arrive à l’Opéra Comédie pour voir la nouvelle création d’Akram Khan avec la plasticienne Manal AlDowayan, et les drapeaux palestiniens flottent sur le parvis. La manif’ est là, pour dénoncer les bombardements israéliens à Gaza et en Iran. Sans doute les pancartes et discours étaient-ils prévus pour accompagner les spectacles de la Batsheva, comme Montpellier en a l’habitude. Mais la compagnie phare de la danse israélienne fut contrainte d’annuler sa venue, l’espace aérien d’Israël étant fermé. En mal de Batsheva eux aussi, les manifestants se sont rabattus sur un spectacle qui a été créé par un chorégraphe londonien aux parents bengali et d’une vedette saoudienne de l’art contemporain. Thikra – Night of Remembering a vu sa création près d’Al-ʿUla dans le désert saoudien. Les manifestants devant l’Opéra-Comédie savaient-ils qu’à l’intérieur, sur le plateau, se déroulait une manifestation féminine, voire féministe, à caractère interculturel ? Ce spectacle met en scène une douzaine de danseuses internationales qui attaquent chacun de leurs mouvements en unisson et de manière ultrapuissante, laissant parfois leurs longues chevelures flotter comme pour créer une tempête.

Khan et les danseuses y inventent un mythe, celui de la passation de pouvoir matriarcal au sein d’une communauté de l’ère nabatéenne. Leur culte a pour but le retour du fantôme de la reine défunte, pour célébrer quelques rites mortuaires pouvant évoquer Prométhée. Mais la narration se perd entre les sphères, tant les cultures et les époques se chevauchent. Heureusement, le courage du groupe et la force des solistes l’emportent, dans une virulente revendication de liberté. Ce qui soulève plusieurs questions. Quand la Palestine sera libérée comme le revendiquèrent les manifestants sur le parvis, cela vaudra-t-il aussi pour les cheveux des femmes? Et comment cette danse, si symboliquement écrite pour les bras ondulants et structurants des danseuses, a-t-elle pu se déployer dans le contexte d’ Al-ʿUla, dans le désert d’un pays où les femmes doivent couvrir leur peau et leurs cheveux ? Et puis, il y avait ce déluge sonore qui parfois engloutissait la danse. Ni le spectacle, ni la composition d’Aditya Prakash s’en trouvaient servis. Le son avait-t-il été renforcé exprès ce soir-là, pour empêcher que le public entende à l’intérieur les échos de la manifestation ? C’est l’unique sens qu’on saurait trouver à cette autodestruction musicale.
Pendant ce temps, Armin Hokmi préparait son propre spectacle, dans la cour de l’Agora, la Cité internationale de la danse, inaugurée en 2010 dans l’ancien couvent des Ursulines. Hokmi est Iranien, mais vit en Europe. Il a donc pu se rendre au festival comme prévu. Peut-il écrire une danse en dehors de ce contexte ? La danseuse norvégienne Katherina Jitlatda Horup Solvang interpréta un solo minimaliste et très contemporain, mais placé sous l’esprit des danses traditionnelles du monde entier. Peut-on mieux incarner l’amour de Jean-Paul Montanari pour les artistes perses, arabes ou israéliens, surtout lors de la première édition de Montpellier Danse qui se tient sans sa présence charnelle ? Le lendemain, dans la même cour, fraîchement baptisée cour Montanari, Mathilde Monnier (qui avait pendant longtemps dirigé le Centre Chorégraphique National, partageant les lieux avec Montpellier Danse), Salia Sanou et Fabrice Ramalingom – deux grands messieurs de la danse montpelliéraine – dansent et livrent leurs pensées en hommage à celui qui avait dirigé quarante-quatre éditions du festival. Lors de son allocution, Michaël Delafosse, maire de Montpellier, lutte pour retenir ses larmes.
Et tout de suite après la cérémonie, Nadia Beugré rend hommage, dans le Studio Bagouet voisinant, à son père et son village nommé Yikakou, ce qui signifie, littéralement : Viens mourir ! Accompagnée de deux musiciennes-chanteuses, elle raconte son voyage en Côte d’Ivoire pour trouver et restaurer la tombe de son père. Et se transforme en reine, redonne espoir. Montanari aurait été aux anges, autant qu’il aurait souffert de ne pas pouvoir ouvrir son édition ultime avec la Batsheva. Et la nouvelle garde était là, aux spectacles comme sur le plateau-hommage : Dominique Hervieu, Hofesh Shechter, Jann Galois et Pierre Martinez, en charge du destin de l’Agora unifiée. Le CCN et Montpellier Danse marcheront la main dans la main, unis autour de la cour où ont lieu toutes les fêtes de Montpellier Danse. Tel aurait été le but de Montanari, nous dit-on.
45e Festival International Montpellier Danse, jusqu’au 5 juillet 2025
Visuel : Spectacle: Thikra Night of Remembering
Direction et chorégraphie: Akram Khan,
Directeur visuel, costumes et scénographie: Manal AlDowayan,
Concept narratif: Manal AlDowayan, Akram Khan,
Compositeur et univers sonore: Aditya Prakash,
Conception sonore: Gareth Fry,
Création lumière: Zeynep Kepekli,
Dramaturge: Blue Pietà,
Dans le cadre du Festival Montpellier Danse,
Lieu: Opéra Comédie, Montpellier, le 21/06/2025