La 22e édition de Lille Piano(s) Festival s’est tenue du 13 au 15 juin. Délocalisée en raison des travaux de rénovation du Nouveau Siècle, cette édition « hors les murs » n’a cependant pas souffert du changement de lieux. Reportage.
Le vendredi 13, une vague de chaleur s’est abattue sur toute la France. À l’arrivée à Lille, l’atmosphère est presque étouffante. Cette année, le concert d’ouverture se tient au Théâtre du Casino Barrière. Le pianiste invité, Behzod Abduraimov, est réputé pour sa volonté farouche et son tempérament incandescent. La salle, conçue pour des spectacles amplifiés, a dû s’adapter à la musique classique. Pourtant, le pianiste ouzbek parvient à faire résonner son instrument comme s’il jouait dans une salle à l’acoustique dédiée. L’orchestre, lui est confronté à un autre défi : le son est absorbé par la scène entourée de rideaux épais et les fauteuils recouverts de mousse, risquant le déséquilibre sonore. En bis, la célèbre Campanella de Liszt fait toutefois oublier ces questions, tant la virtuosité d’ Abduraimov est prodigieuse.
Le deuxième jour, une fraîcheur revient après un orage dans la nuit. Nous nous rendons à la Chambre de Commerce, superbe édifice du XIXe siècle, surmonté d’un beffroi de 76 mètres de haut dans le style néo-flamand. Le duo Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, puis, Marie Vermeulin parviennent à faire vivre des détails subtils dans un programme exigeant, l’un de Bizet, Debussy et Ravel, et l’autre, d’un grand cycle Das Jahr de Fanny Mendelssohn.
En fin de journée, retour dans l’un des lieux emblématiques du festival : la salle ovale aux murs finement décorés du Conservatoire. C’est ici que le jeune Français Théo Fouchenneret propose l’intégrale des Nocturnes de Fauré, dont on a célébré le centenaire de la mort l’an dernier. Ces treize pièces, couvrant toute la carrière du compositeur, forment un véritable voyage. Plus le récital progresse, plus l’interprète semble fusionner avec la musique. Le silence de la salle, aussi impressionnant que l’exécution elle-même, témoigne d’un moment totalement suspendu, presque religieux. L’univers de Fauré, avec ses harmonies et ses polyphonies très personnelles, n’est pas toujours aisé à appréhender. Réussir à y entraîner l’auditoire avec une telle intensité en dit long sur la musicalité exceptionnelle du pianiste. Le moment fut si rare, si intense qu’il nous a dissuadés d’aller ensuite aux afters électros et jazz programmés à la Gare Saint-Sauveur. Il fallait garder intacte la résonance de ce moment…Le dimanche 15, dans cette même salle, Bertrand Chamayou propose une autre intégrale : celle des œuvres pour piano seul de Ravel, à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance. Avec la même intensité, il livre un Ravel massif, viril et tellurique, sans faire aucunement l’impasse sur la douceur. Pour clore les festivités, le neerlandais Nikola Meeuwsen — tout juste couronné du premier prix du prestigieux Concours Reine Élisabeth de Bruxelles — interprète le Premier Concerto de Chopin. Il étire le temps dans le mouvement de Romance, comme pour prolonger un instant de tendresse. Ses deux bis, dont un Brahms hautement introspectif, servent de belle conclusion pour un week-end riche en émotions.
L’Orchestre national de Lille propose les traditionnelles « Les Nuits d’été », derniers concerts de la saison, les 7 et 8 juillet, avec Les Sept Péchés capitaux de Kurt Weill au Casino Barrière.
Photo © Ugo Ponte-ONL / Alex Thiberghien-ONL