Alors que la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) se tient du 9 au 13 juin à Nice, plusieurs initiatives artistiques y font écho. Parmi elles, la plateforme Time 2 Sea créée par Marion Semblat souhaite sensibiliser à la sauvegarde des océans à travers la vision de grandes figures d’artistes contemporains.

L’idée est originale et souhaite prendre le contre-pied des habituels engagements éco-artistiques militants qui ont fait florès ces dernières années au diapason d’un débat de société crucial sur la protection de notre planète Terre. L’art contemporain, bénéficiant du soutien de prix et autres bourses, a en effet creusé un sillon où la bonne conscience créative des uns a profité à l’image vertueuse des autres, fondations, institutions culturelles et autres acteurs trop heureux de soutenir un art dit écologique. Si l’ouvrage de l’historien de l’art Paul Ardenne Un art écologique : création plasticienne et anthropocène avait proposé en 2018 une définition de « l’art écologique » tout en relatant l’histoire passionnante des artistes activistes depuis la fin du 19e siècle, il est devenu évident aujourd’hui que la banalisation de cet engagement a aussi entraîné la banalisation des créations artistiques souhaitant absolument s’y référer. Quoiqu’il en soit, même si un tri s’avère nécessaire pour séparer l’ivraie opportuniste du bon grain, il est aussi vrai que plusieurs artistes ressentent plus fortement le besoin de se raccorder aux éléments. Qu’ils soient de véritables activistes engagés ou de simples poètes en quête de sens et de beauté. Car les artistes n’ont pas attendu les conférences de l’ONU pour regarder le ciel, la mer et Dame Nature, et pour en exposer les richesses et en observer les mutations et les meurtrissures.

Certains d’entre eux sont des figures importantes de l’art contemporain et c’est à travers leurs parcours et leur sensibilité que Marion Semblat souhaite aujourd’hui diffuser une autre image du combat écologique, moins cataclysmique, « moins éco-anxieuse » souligne-t-elle. Pour parler au plus grand nombre, pour éveiller à la beauté et à la fragilité, afin aussi « d’éduquer par l’art et de décloisonner l’art contemporain ». Ainsi est née une série de films documentaires courts (une vingtaine de minutes) qui brosse le portrait d’artistes par le prisme de l’éléments liquide. « On entre dans l’intimité et le quotidien de ces artistes mais sous un angle différent, celui de leur sensibilité à la nature, aux océans » explique-t-elle. Amoureuse elle-même des grandes étendues d’eau qu’elle a sillonné au large de la Papouasie sur des plages paradisiaques, elle a pris conscience de son engagement alors que le continent de plastique du Pacifique ne cessait de s’étendre. Ainsi, en 2017, elle fonde l’association Time For The Ocean afin de sensibiliser et d’alerter le grand public à la sauvegarde des océans et du littoral, en même temps que le festival « 24 Hours for the Ocean » qui se tient à Deauville tous les ans.

Son crédo : l’image impactante et la créativité artistique pour voir le monde autrement et initier des démarches positives. Quelle plus belle transmission d’une sensibilité que celle de la voix des artistes contemporains, encore trop peu connus du grand public ? C’est ainsi qu’elle a lancé la plateforme de diffusion digitale « Time 2 Sea » qui héberge déjà une vingtaine de films documentaires mis à disposition de plusieurs villes partenaires, afin que cinémas, musées et festivals puissent les diffuser au plus grand nombre. Un projet itinérant, d’une grande facilité d’accès, destiné aux lieux culturels et dont l’offre à vocation à s’étayer. Parmi celle-ci la série « Sea Art Movies » qui propose 6 films produits par son association grâce au concours de sa complice, la réalisatrice Maud Baignères, dont la caméra a capté les gestes et les aspirations de six artistes dont l’approche résonne avec les mythologies aquatiques : l’Anglais Jason deCaires Taylor qui immerge des sculptures dans les fonds marins, la jeune artiste Bianca Bondi (nommée cette année au Prix Marcel Duchamp), Fabrice Hyber (qui vient d’ouvrir une exposition à la galerie Nathalie Obadia), l’apnéiste et réalisatrice Julie Gautier, Jérémy Gobé dont les œuvres cherchent à redonner vie aux coraux et Miquel Barcelo dont les poulpes et autres animaux marins envahissent les immenses toiles. « La peinture et la mer c’est presque synonyme de la même chose, c’est une chose liquide humide qui sèche et parfois ça ne sèche pas… mais j’ai souvent l’impression que les tableaux c’est comme une flaque d’eau qui sèche et qui laisse des détritus ou des restes comme des sels qui restent après évaporation… » exprime-t-il dans le film tout en racontant son enfance au bord de l’eau cristalline de Majorque. « On est liquide non ? » demande-t-il alors qu’il a toujours vécu en osmose avec la mer qui lui a insufflé la nécessité de peindre. Être en apnée dans son atelier et dans l’eau, c’est, en somme, un peu la même chose. On le voit sur ces rivages qu’il a défendus plus jeune dans des groupes écologistes qu’il soutient toujours. Le film alerte, conscientise, sans choquer le regard, sur une musique d’une lancinance envoûtante. Dans une de ses performances live, on le voit même entrer dans son œuvre, mur d’argile qu’il traverse et malaxe avec son corps, révélant le rapport charnel – et originel – de l’humain avec la nature.

Ce film sera projeté le 12 juin lors des rencontres du Haut Conseil local sur le climat et la biodiversité dans le cadre de l’UNOC. L’initiative de Marion Semblat qui bénéficie de plusieurs soutiens (Fondation Prince Albert II de Monaco, Fondation Carmignac, Fondation Tara Océan…) s’intègre ainsi parfaitement à l’actualité qui a, ce mois de juin, les yeux rivés sur l’horizon niçois dont la programmation culturelle se met au diapason de l’UNOC. L’association COAL organise par exemple le festival Sentiment océanique au Mont Saint Alban du 4 au 9 juin en réunissant artistes, chercheurs et acteurs de la transition écologique, tandis que la Biennale des Arts de Nice tire le fil du thème de l’océan à travers 11 expositions dans la ville à découvrir jusqu’au 3 novembre.

Pour plus d’infos : timefortheocean.com