Non loin d’Uzès, au domaine de Panery, la galerie Ceysson et Bénetière présente les œuvres récentes de Lionnel Sabatté. Peintures, chouettes totémiques et œuvres sculptées célèbrent alors une matière profondément tellurique qui n’a de cesse de se régénérer. A voir entre vignes et oliviers….
Il y a dans la poussière, le limon, les sédiments et la terre, une mémoire que seuls certains gestes savent faire remonter. Non pas un souvenir, ni même une trace visible, mais quelque chose de plus ancien qui persiste et se régénère. Figurant parmi les artistes nommés pour le Prix Marcel Duchamp 2025, Lionel Sabatté appartient à cette rare lignée d’artistes pour qui la matière n’est pas un médium, mais bel et bien une origine. Depuis près de vingt ans, il s’emploie à réveiller ce que la société préfère balayer et n’ose pas regarder : peaux mortes, rognures d’ongles, poussières de sol, branchages oubliés, cendres volcaniques. Autant de résidus devenus particules élémentaires de forces résilientes et d’apparitions.
C’est au Domaine de Panéry, vaste domaine viticole relancé par Olivier et Jacqueline Ginon, que son travail se déploie aujourd’hui dans une nouvelle exposition présentée par la galerie Ceysson & Bénétière. Niché dans les courbes minérales du Gard, où les vignes côtoient les oliviers, les taillis et les pierres sèches, le domaine semble offrir aux œuvres un sol d’émergence bien plus qu’un espace assigné à leur monstration. Sabatté y engage un dialogue souterrain avec les éléments, comme s’il réactivait ici les conditions d’un art originel.

Figures récurrentes dans son œuvre sculptée, les chouettes condensent cette relation au vivant que Sabatté ne cesse d’interroger. Hybrides, à la fois abris et sentinelles, toutes trois sont postées aux points cardinaux du domaine comme si elles en assuraient la veille. Fragiles mais fièrement dressées, compactes mais traversées d’un souffle, leurs orbites creuses nous observent depuis un seuil incertain, entre animalité, architecture et mémoire fossile. Ce sont des sculptures de l’entre-deux, habitées par des tensions géologiques et des réminiscences préhistoriques. « Ce que j’aime dans l’art pariétal, nous confie d’ailleurs l’artiste, c’est d’être physiquement au même endroit que celui qui a laissé une trace il y a 17 000 ans. » Car chez Sabatté, la trace engage le corps et la durée. Réalisées in situ, le fer et le ciment en constituent la charpente mais ce sont les branchages, torsadés et encastrés, qui leur confèrent une présence brute ainsi qu’une densité toute archaïque.

Dans d’autres œuvres, semblables à un bestiaire pris entre effondrement et métamorphose, le ciment devient organe à part entière : il est teinté, chauffé et enrichi de chaux, cette chaux qui, selon les Anciens, cicatrise les fissures et en appelle à la régénération. L’alchimie est partout et Sabatté s’intéresse ainsi à cette capacité de la matière à se réparer elle-même. C’est dans cette continuité qu’apparaît un nouveau composant, la pouzzolane, cette poudre minérale issue des entrailles volcaniques qui était déjà utilisée dans le ciment romain. Des sculptures aux toiles, elle traverse alors l’œuvre comme un fil matriciel. Car aux pièces tridimensionnelles répond une série de peintures à l’huile, élaborées à partir de cette même pouzzolane mêlée à des fragments de tissus de soie. Travaillant à même le sol, Sabatté verse, dilue, en observe les réactions, les fusions tout comme les effacements. Ce faisant, il explore le point d’équilibre entre hasard et maîtrise, entre naissance et dissolution. « J’aime l’idée que ce qui remonte du centre de la Terre soit une autorévélation du vivant », confie-t-il. Dans une palette ocre et terreuse, ponctuée d’accents cristallins, surgissent et se déploient des formes primordiales, en pleine déflagration, toujours suspendues à la lisière de leur propre disparition. Elles se tiennent dans un état liminaire, à la fois germinatif et spectral, marquées d’une incandescence sourde où se lit toute l’empreinte de la brûlure des origines : chaque forme visible procède d’une lente sédimentation de matières et de forces et l’œuvre de Sabatté ranime alors ce qui, dans la poussière et les cendres du monde, cherche encore à éclore.
Exposition Lionel Sabatté – Sappho Patera – du 19 avril au 14 juin 2025 – Domaine de Panéry – www.ceyssonbenetiere.com