Château La Coste ouvre ses sentiers à la création émergente en conviant POUSH, la plus grande pépinière d’artistes d’Europe, à investir l’ensemble de son domaine et de ses pavillons emblématiques. Ici, le paysage n’est plus un motif figé, mais un espace relationnel, à arpenter par quatre chemins…
Présenter des œuvres au Château La Coste relève d’un véritable défi, tant ce prestigieux lieu, qui conjugue culture viticole et ambition artistique, déploie sur ses collines une collection d’art contemporain au gré des vignes et des sentiers. Le visiteur y flâne à ciel ouvert, entre les architectures signées Tadao Ando, Oscar Niemeyer ou Renzo Piano, et jusqu’aux sculptures de Richard Serra, d’Andy Goldsworthy ou de Louise Bourgeois. Dans un tel environnement, où tout semble déjà chargé de sens, intervenir exige une justesse rare, sans surenchère ni retrait. C’est pourtant le pari qu’ont relevé trente-cinq artistes de différentes nationalités réunis au sein du collectif POUSH, installé à Aubervilliers, à l’invitation des commissaires Yvannoé Kruger et Margaux Knight.
Dès l’entrée, une première présence s’impose. Trois Guardians de Pauline Guerrier se tiennent là, postés comme des veilleurs silencieux. Réalisés à partir de vêtements d’agriculteurs collectés au Bénin, ces figures relèvent à la fois de l’effigie rituelle et du totem. Ni tout à fait sculptures ni simples apparitions, elles oscillent entre les épouvantails des champs européens et les sentinelles dressées à l’orée des villages africains.
Comme en contrepoint, Florian Monfrini déplace pour sa part littéralement le paysage. Toujours en mouvement, son œuvre consiste à transporter des pierres à travers le domaine pour édifier, progressivement, des sortes de bories contemporaines, ces abris typiquement provençaux construits sans mortiers. Ce travail physique, véritablement archaïque, convoque alors l’épuisement, la répétition, le corps à l’épreuve du terrain, à l’image d’une une peinture qui nait dans l’effort, dans la patience et la maitrise de l’exercice de la main.

L’exposition ne propose pas d’itinéraire balisé, mais une errance mesurée, sans ligne directrice rigoureusement imposée. Fidèle à l’esprit de son titre, Par quatre chemins, l’orientation y demeure ouverte, autorisant une progression discontinue entre les œuvres, qu’elles soient inscrites au cœur du paysage ou bien légèrement en retrait. À l’image du promeneur attentif, l’œil ne tente pas de cartographier le domaine, mais bel et bien de l’arpenter avec un regard poreux, sensible aux nombreuses bifurcations, soit autant de promesses d’apparitions.
Henri Frachon travaille ainsi le vide induit par la béance. Dans Les Yeux en face des trous, des planches de bois sinueuses sont percées d’un œilleton, invitant le regard à un angle précis sur le paysage. Sea of holes, pour sa part, creuse la terre pour révéler, par effraction, des micro-topographies de racines, de branches et de lignes d’érosion. Une tentative non pas de figurer le lieu, mais d’en percer l’épaisseur et l’essence et d’en retenir in fine la persistance.

Partout, le visiteur se surprend à emprunter des chemins de traverse, à rencontrer les œuvres dans l’éclat d’un surgissement, parfois d’une épiphanie. Porté par un mouvement solidaire, le paysage s’éprouve alors autrement, sans surplomb ni même effacement, questionnant alors les liens entre société humaines et environnements.
Dans le bassin de l’auditorium Niemeyer, en lien avec les éléments que sont la lumière et le vent, Clara Imbert érige une forêt d’antennes en acier inspirée des premiers dispositifs de transmission radio. L’œuvre capte alors un paysage plus vaste, littéralement invisible, traversé de flux imperceptibles. À cette résonance aérienne, succède un autre type d’écoute, plus ramassée, plus enfouie, si bien que dans le pavillon Renzo Piano, Les Petits Riens de Sara Favriau déplacent le regard vers l’infra-ordinaire. Des petites sculptures composées d’objets glanés sur place – capsule de bière, coquille d’escargot, écorce- cultivent ici une écologie sensible du fragment : la matière s’agglomère lentement, composant des corps ambigus, comme échappés d’un compost.

Ce lien incarné avec le territoire, sensible dans cette attention portée aux autres formes de vie se manifeste également sur la terrasse du pavillon où trois souches d’arbres paraissent figées dans le temps, comme extraites d’un paysage antérieur. C’est l’œuvre d’Angela Jiménez Duran, qui a recueilli ces vestiges ligneux dans le sol même du site. En les enduisant de paraffine, elle leur confère un aspect givré, presque spectral, offrant ainsi un portrait en creux du paysage souterrain de Château La Coste.
Avant de quitter le domaine, le visiteur est invité à franchir les portes de la Galerie des Anciens Chais, réaménagée par Jean-Michel Wilmotte. Deux artistes y occupent l’espace avec puissance. D’un côté, l’installation vidéo Hyperphantasia de Justine Emard, née d’un travail au long cours autour des premières représentations humaines de la Grotte Chauvet. De l’autre, deux toiles monumentales de Dhewadi Hadjab, modernes descentes de croix, auparavant exposées en 2021 dans l’église Saint-Eustache à Paris. Entre apparition et recueillement, toutes deux ferment alors la marche sans jamais la clore…
Exposition Par quatre chemins – POUSH – Points de vue sur la scène actuelle, jusqu’au 9 juin 2025, Château La Coste, www.chateau-la-coste.com