Elles somnolaient sous une couverture de poussière dans le grenier de la Bibliothèque municipale de Besançon (ville admirable, musée des Beaux-Arts exceptionnel), là où sont entreposés vieilles photos à l’intérêt problématique, tas de faire-part légués par quelques veuves persuadées de faire un don inestimable à la science de la conservation, cadres arthritiques atterris là sans que l’on ne voie le rapport avec les livres. Elles étaient là, posées bien en évidence sur une étagère, à la manière de la « Lettre volée » d’Edgar Poe, « oubliées » par des générations de prudes conservateurs pas pressés de les divulguer. Les missives coquines, cocasses, cochonnes, échangées entre le très priapique Gustave Courbet et une correspondante-allumeuse à particule, attendaient leur heure, sauvées par miracle du feu de l’enfer pudibond auquel elles auraient dû être promises. Cette découverte par un intuitif trio de bibliothécaires a fait couler beaucoup d’encre il y a un an ; elle est enfin offerte au public, à la fois, par une très pertinente exposition de certaines des missives à haute teneur pimentée au sein de l’établissement-même et par leur publication intégrale dans un ouvrage chastement intitulé « Correspondance avec Mathilde »*.
De quoi s’agit-il ? De l’hameçonnage du glorieux rapin par une aventurière en quête de pigeon mâle à plumer jusqu’à l’os. Une « broutteuse » non pas ivoirienne mais parisienne, dénommée Mathilde Carly de Svazemma. Récente noblesse, fauchée. Plus vieux métier du monde pour arrondir les faims de mois. Qui ne s’est pas fait avoir par les faux aveugles des rues, les culs-de-jatte bien en jambes, les réfugiées syriennes importées d’Albanie ? Condamné à rembourser une somme astronomique pour la réfection de la Colonne Vendôme qu’il aurait fait abattre, Gustave Courbet broie du noir et ce n’est pas pour les bénéfices de sa palette. Une lettre lui parvient le 21 novembre 1872 qui éclaire soudain l’avenir : « Vous êtes homme de génie ! Le génie n’habite pas toujours auprès de nous… » La sinistre description physique qu’elle donne d’elle-même aurait dû faire l’effet d’un shoot de bromure, mais non : « Peu jolie femme ou plutôt point du tout. Figure longue, froide, sévère. Femme grande, assez forte de hanches et de poitrine. Cheveux cendré foncé. Sourcils arqués. Très grande bouche. Tout cela ne vous donne pas idée de la personne ». Pour contrebalancer le triste tableau : « Cœur d’or. Femme sensible, habituée aux malheurs, aimant par avance tous ceux qui souffrent ! … Oui, Monsieur, je suis libre, et je désire être votre enchanteresse ! L’objet de vos rêves » … L’hameçon est lancé que ce gros poisson de Courbet va mordre jusqu’à en perdre la tête pour sa sirène lubrique.
Mathilde qui l’a bien ferré, l’entraîne dans des eaux de plus en plus salaces, les sens s’échauffent, la pornographie se déverse en giclées de visions hardore. Pornhub entre Seine et Doubs dans toutes les positions, sous toutes les coutures. La comtesse aux pieds nus et aux mains lestes veut maintenant son dû : rencontrer son génie, le combler et le délester si possible de quelques tableaux à revendre. Son adorateur lui en confie un mais refuse de la voir, puis prend peur devant l’allumeuse mutée en maîtresse-chanteuse. Réclame les lettres qu’elle lui renvoie – sauf une quinzaine-, et la dénonce. Police, menottes, prison. Fin de l’exquise extase hot. Que reste-t-il de ces amours virtuelles ? Six mois de « foutrerie » pour se dessaler et se délasser. Le #metoo art n’a qu’à bien se tenir : dossier à charge désespérément vide ; l’emprise était cette fois sur le maître. Moralité de l’histoire selon Mathilde ? « Ne te prive pas de dévorer mon con, mon cul, et de lécher mon corps de haut en bas. J’accepte ton foutre, et je le bois avec délices ». Un programme, il est vrai plus pimpant qu’un enterrement à Ornans.
*Gallimard/Ville de Besançon.