A la Seine Musicale, Laurence Equilbey et Insula orchestra proposent Le Paradis et la Péri, superbe oratorio inspiré d’une légende persane, mis en scène et chanté par de formidables interprètes, dont la soprano Mandy Fredrich.

Le Paradis et la Péri est de ces secrets trop bien gardés par les initiés et autres passionnés de Schumann. Heureusement, grâce à ce projet inédit porté par Laurence Equilbey et Insula orchestra, le secret éclate au grand jour. Car qui verra ce Paradis porté par ses interprètes, les musiciens sur instruments anciens mais aussi le chœur Accentus, ne pourra oublier cette œuvre ample et exaltante, fondamentalement poétique. Cet oratorio de Schumann inspiré d’un poème de Thomas Moore, réunit chœur, solistes et orchestre autour de l’histoire de « la Péri », « fée » en persan, chassée du paradis, qui cherche à tout prix à y retourner. Pour cela, elle doit présenter aux portes du paradis « un don suprême », sans qu’elle ne sache de quoi il s’agit. On retrouve l’univers mythologique persan développé dans Le Livre des rois, et qui a tant fasciné le romantisme britannique et allemand, peuplé de créatures mi-humaines, mi-divines, de démons et d’oiseaux sacrés, cherchant la rédemption entre ciel et terre.Le récit s’ouvre comme un conte philosophique, dont le mystère sera accentué par la sobre mise en scène de l’allemande Daniela Kerck, fondée sur le noir, le blanc et le rouge, et les vidéos d’Astrid Steiner agissant comme un miroir inversé du périple raconté sur scène. Ainsi la Péri, que Many Fredrich nous offre en puissance et en sensualité, trouve dans l’écran qui lui fait face son double, retenu dans une prison de verre, symbole sans doute de son âme errante sur terre, à la recherche du « don suprême ». La Péri, costumée de blanc et portant une aile d’ange dans le dos, entame un périple initiatique qui la verra traverser différents tableaux de la souffrance humaine qui sont autant d’allégories de l’existence. Dans un Moyen-Orient rêvé, de l’Egypte à la Syrie, elle rencontre un peuple sous la tyrannie qui célèbre le sacrifice d’un jeune héros, ou découvre l’amour parfait et tragique d’un couple mourant dans une forêt. A chaque fois, elle croit trouver le don suprême, le sang du sacrifié, la larme de l’amante, mais elle est toujours renvoyée du Paradis. La Péri ignore que ce qu’elle recherche se situe au plus profond d’elle-même et de tous les êtres qu’elle rencontre : la repentance. Le livret résonne dans une poétique constante, ce qui confère à cet oratorio, que Schumann lui-même qualifiait de Dichtung, de poème, une force littéraire qui nous retient, avec la musique, de bout en bout. Les moments d’exception dans cet opéra ne sont pas sans rappeler certains instants du Ring, dans l’allant mystique et initiatique des multiples chœurs qui rythment l’œuvre, et la mènent au plus haut. Car si nous sommes dans une œuvre profane, le sens du sacré des romantiques Moore et Schumann, et l’intensité de la musique renforcée par les instruments anciens, mènent cet oratorio vers une apothéose mystique. Une forme de joie s’exprime ainsi au dernier acte, une libération intérieure qui, dans l’auditorium de la Seine Musicale, au son sensuel d’Insula orchestra, a retenu la salle, souffle coupé, jusqu’à la dernière note. Proust disait de Schumann qu’il était « le confident des âmes », dans cette musique onirique, il semblerait qu’il ait fait entendre les tréfonds de la sienne.

Le Paradis et la Péri, Robert Schumann, Insula orchestra, direction musicale Laurence Equilbey, mise en scène Daniela Kerck, création vidéo d’Astrid Steiner, Seine Musicale, jusqu’au 17 mai. Opéra de Vienne, 30 mai. Plus d’infos sur www.insulaorchestra.fr