Coup de maître, le premier roman corrosif de Paul Monterey, La condition artificielle nous livre un portrait sans pitié de notre temps.

       Rares sont les voix nouvelles qui se font entendre dans le brouhaha de la littérature contemporaine. Plus rares encore celles qui décrivent sans complaisance notre époque avec une crudité impitoyable et l’effet collatéral d’une opération de la cataracte : la vue s’est améliorée, mais le visage qu’on aperçoit dans le miroir est beaucoup moins acceptable que celui auquel on s’était habitué dans le flou, l’imagination l’ayant embelli (et rajeuni) à notre convenance.

       La Condition artificielle, premier roman de Paul Monterey, un ancien avocat né en 1979, est un livre qui décape et javellise les illusions que l’on pourrait encore se faire sur la décadence de la société occidentale. Admirable satire de la classe privilégiée parisienne, mais aussi des minorités bien-pensantes et d’une jeunesse dont l’existence se voit confinée à la virtualité d’un écran, cette fiction s’inscrit dans la tradition du réalisme balzacien que Michel Houellebecq a réactualisée il y a trente ans en publiant Extension du domaine de la lutte. Mais il s’y ajoute un ton d’une impertinence imparable qui relève davantage, lui, de l’esprit des hussards, celui de Roger Nimier (et notamment de Perfide où il étrille les surréalistes). Qu’on en juge par ce bref extrait percutant : « Je la regardais vraiment pour la première fois. La première fois dans la vraie vie. Sans les filtres Instagram, je ne savais pas si je la trouvais belle. Sans doute pas. Mais j’aimais ses seins et j’avais envie d’elle. Envie de l’avoir. Envie qu’elle m’appartienne. »

       Le narrateur de ce roman abrasif, qu’on ne lâche pas une minute tant son pouvoir de séduction est efficace, s’appelle Arnaud Rivelle de la Chausse. Polytechnicien surdoué, issu de la riche aristocratie du XVIe arrondissement, il a mis au point un agent logiciel sur mesure, « le Général », grâce auquel il espionne les smartphones et les ordinateurs portables de son entourage. Sa première intention est de lutter contre le réchauffement climatique et la survalorisation du consumérisme en menant une action subversive radicale, mais son obsession sexuelle ne tarde pas à prendre le dessus. Pour pallier les déconvenues que lui vaut un physique ingrat, ce hackeur onaniste et manipulateur établit une stratégie de traque machiavélique pour conquérir une sémillante Coréenne aperçue à une soirée. Il décrypte le profil et les ambitions de sa proie en explorant ses activités sur les réseaux sociaux. Et découvre que, disgraciée dans son pays à cause des malversations de son père, elle est elle-même en chasse d’un bon parti. C’est lui qui se fait piéger, en définitive. Mais le jeune homme de bonne famille déteste tellement ses parents xénophobes que ce revers du sort le ravit. Personne ne se rachète dans un monde aussi cynique et corrompu. Monterey nous le prouve à coups de caricatures où il met en relief les tares et les préjugés de notre temps. Sarcastiques et désopilants, les dialogues, saisis sur le vif, ne sont pas la moindre réjouissance de ce livre délicieusement immoral qui fera date.

La Condition artificielle, Paul Monterey, Le Cherche midi, 256 p., 20,50 €