On fête cette année les 70 ans de la mort de celui que beaucoup appelaient « Le génie », Paul Claudel. Retour à travers une remarquable biographie sur la vie et l’œuvre d’un écrivain à part.

Transfuge met au moins de décembre, Paul Claudel en couverture. Pour sa pièce Le soulier de Satin, à La comédie française, mise en scène par Eric Ruf. Selon l’auteur, il s’agit de son grand œuvre. Le Soulier paraît en 1929 : « Mon œuvre la plus importante, celle qui résume toute ma vie ; j’espérai naïvement qu’elle allait faire une certaine sensation. » L’accueil est mauvais. Claudel dit alors : « j’ai renoncé à l’art. Proprement dit ». Il faudra attendre 1944 pour que la pièce soit montée, par Jean-Louis Barrault. Succès. Sartre en dit du mal, Barrault avait préféré monter le Soulier que Les mouches ! En 1951, il écrit un anti-Soulier, Le diable et le bon Dieu : « toutes les banalités habituelles » selon Claudel.

Un succès tardif qui s’explique par le fait que longtemps Claudel refusait de faire monter ses textes ; il signait même ses livres Tête d’or et L’annonce faite à Marie de manière anonyme, tirés volontairement à peu d’exemplaires. Ce n’est qu’à 65 ans qu’il commence à s’intéresser à la mise en scène grâce à Ida Rubinstein.

Sa conversion, matrice de sa vie

Des images lui viennent pour définir sa conversion : une seconde naissance, une agonie, une catastrophe, un changement de sexe, une submersion. L’idée de défaite : « tu m’as vaincu, mon bien-aimé ! Mon ennemi. Tu m’as pris dans mes mains, mes armes une à une ». Entre 1885-1893, époque de ses deux conversions : en mai 1886, découverte de Rimbaud ; à Notre-Dame, la Révélation, le 25 décembre 1886, à l’heure des vêpres, la colonne de Notre-Dame, où se trouve la vierge du Pilier. Pourquoi Rimbaud ? « Les illuminations ont complètement ébranlé le système philosophique, absurde et rigide, auquel j’ai essayé de me plier à ce moment-là, elles m’ont réveillé, révélé, pour ainsi dire, le surnaturel ». Et les enseignements chrétiens chez Rimbaud : « j’ai entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. » « Le chant raisonnable des anges s’élève du navire, sauveur : c’est l’amour divin (…) le monde est bon. Je bénirai la vie. J’aimerai mes frères (…) Dieu fait ma force, et je loue Dieu ». Rimbaud et Claudel sont proches, rappelle Pérez : même milieu, même accent rural, même rusticité, même violence, même sarcasme, même nostalgie du merveilleux, même impatience à foutre le camp.
Sa conversion est aussi une réaction de Claudel à la société d’alors très anticléricale, très Taine, très Renan, très Comte, très positiviste.
En 1900, le poète veut devenir moine bénédictin (ordre des bénédictins de Ligugé). Se rend à l’abbaye mais en ressort quatre jours après sans prendre l’habit : Dieu l’aurait refusé, d’un « non péremptoire ». Et : « Il est probable que si j’avais demandé de manière vraiment ferme de rester à Ligugé, j’y serais resté, mais le cœur me manquait, le sacrifice du don principal qui constitue sans doute ma vocation personnelle (la poésie) était trop grand pour mes forces. » Le fait ne pas être devenu moine lui pèsera toute sa vie. Sa conversion suit un long épisode dépressif de dix ans, et une envie de suicide. Sa conversion n’a jamais réglé chez Claudel son angoisse existentielle de « l’à quoi bon ». Et ce jusqu’à la fin de sa vie. C’est l’ennemi, plus encore que le positivisme. Il dit : « J’ai résisté toute ma vie à la tentation de croire à l’absurdité du monde. J’ai prié pour ne pas y croire. » Mais sa conversion est aussi extase. Comme à la Pâques 37, il vit un des plus beaux moments de sa vie quand le vendredi saint il assiste à l’office de Ténèbres dans une stalle du chœur de Notre-Dame, assis au milieu des chanoines. On éteint les cierges un à un, puis on s’en va cacher le tout dernier derrière l’autel : « Impression de bonheur, absolu, comme quelqu’un qui, pour la première fois de sa vie se trouve complètement à sa place. Ainsi, j’ai réussi à franchir cette grille sacrée ! »

La suite est à découvrir dans le dernier numéro de Transfuge

Claude Pérez, Paul Claudel, « Je suis le contradictoire », Cerf, 568p., 24€
Claude Pérez, Camille Claudel, Cerf, 380p., 29€