Depuis 2023, la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique se voit offrir l’opportunité de présenter de « vrais » spectacles conçus par et pour ses membres. Ainsi, après Le Voyage dans la Lune d’Offenbach et Archipel(s) d’Isabelle Aboulker, les jeunes chanteurs s’approprient cette fois des pièces issues des périodes de la Renaissance et du baroque.

Le thème de La Grande Affabulation est, comme dans les deux spectacles précédents, un voyage initiatique. L’histoire débute lors d’une scène de répétition de la maîtrise. Une jeune fille s’aperçoit que son journal intime, dans lequel elle a tout consigné, a disparu. Elle part à sa recherche et croise sur son chemin des oiseaux, des sorciers, un prince et une princesse, un chevalier endormi, ainsi que des créatures fantastiques. Tout au long de son périple, elle découvre différentes façons de s’exprimer, de percevoir le monde et de cohabiter avec autrui. Le livret a été spécialement écrit par le metteur en scène Benjamin Lazar, à partir de ses échanges avec les jeunes, en intégrant leur langage et leurs idées. Retravaillé au fil des répétitions, il propose une véritable leçon de tolérance et de respect. Ainsi, dans la scène II, lors d’une séance extraordinaire rassemblant des sorciers et toutes sortes d’oiseaux, le chef des sorciers demande à chacun comment il souhaite s’exprimer : par les mots, les gestes ou les pensées. Si l’interlocuteur choisit les mots, il précise ensuite s’il préfère murmurer, crier ou parler d’une voix modérée. Et chacun s’adapte au choix de l’autre. D’autres scènes sont tout aussi empreintes d’humanité : la jeune fille est un moment découverte par l’assemblée, qui s’effraie à la vue d’un être humain. Mais un oiseau la défend : elle l’avait sauvé autrefois, alors qu’il n’était encore qu’un oisillon tombé du nid. Dans la Forêt de Longue Attente, un monstre terrifie tous les personnages. Alors qu’on s’apprête à le tuer, une autre maîtrisienne reconnaît en lui une petite pieuvre qu’elle avait recueillie sur la plage avant de la relâcher dans les toilettes pour qu’elle rejoigne la mer. Plutôt que de rejeter ou détruire, on se réconcilie avec ce qu’on est, quelle que soit son apparence.Cette aventure initiatique est ponctuée de chants et de gestes issus des répertoires de la Renaissance et du baroque, permettant aux jeunes de se familiariser avec la diction et l’esthétique de l’époque — Rappelons que Benjamin Lazar a grandement contribué à faire connaître cette diction, notamment dans Le Bourgeois Gentilhomme (production du Poème Harmonique en 2004). Les jeunes chanteurs s’approprient pleinement leurs rôles, et nous saluons particulièrement la qualité de leur diction dans les parties parlées, qui requièrent un vrai travail de précision. Dans la fosse, l’orchestre des Cris de Paris les accompagne sous la direction bienveillante de Geoffroy Jourdain, pour parfaire ce moment de magie. Quelle chance pour eux de s’immerger dans une telle création, où ils apprennent tous les rouages du spectacle vivant ! Ils en sont les véritables protagonistes, impliqués jusqu’au déplacement des décors et même dans quelques pas de claquettes, surprenants dans cette esthétique. Dans ce spectacle plein de féerie, admirez cette jeunesse talentueuse : qui sait, certains d’entre eux fouleront peut-être les grandes scènes internationales dans quelques années…

La Grande affabulation, de Geoffroy Jourdain et Benjamin Lazar, avec la musique de W. A. Mozart, B. Britten, C. Monteverdi, G. Costeley, R. de Lassus, B.Strozzi, M. Lambert, H. Purcell, C. Janequin, c. Le Jeune. Opéra Comique, jusqu’au 16 mai, www. opera-comique.com