Nerveuses et électriques, les toiles de Titina Maselli sont mises à l’honneur à la galerie Raphaël Durazzo. Une peinture intensément moderne, à (re)découvrir d’urgence !

Peu connue du grand public, Titina Maselli (1924 – 2005) compte pourtant parmi les figures les plus singulières de la scène artistique italienne d’après-guerre. À rebours des grands récits modernistes et des esthétiques dominantes, son œuvre s’est construite dans une polarité constante entre figuration et abstraction, au sein de cet interstice même où la fulgurance du réel se confronte à la puissance des formes. Peintre du vertige, elle déploie ainsi, dès les années 1950, une peinture de la vitesse, servie par une grammaire géométrique à la fois nerveuse et savamment construite, où le chaos a tout le loisir de s’épanouir.

Loin de considérer la ville comme un simple décor pittoresque, Maselli l’appréhende en effet comme un champ instable de trajectoires — un espace traversé de vitesses et d’impulsions, soit de tout un faisceau d’énergies en circulation. Elle en observe le mouvement, les flux qui se propagent d’un élément à l’autre, pris dans une dynamique perpétuellement en déséquilibre. Plutôt que de s’inscrire dans la tradition du paysage urbain, son œuvre développe une esthétique de la collision ; entre architecture et chair, vitesse et vertige, figure et fond. « La Rome impériale ne m’intéresse pas, je cherchais la Rome moderne, et il me semblait la découvrir la nuit », confiera-t-elle à ce sujet. Vécue dans toute sa partition nocturne, la capitale italienne devient alors un lieu de révélation — non plus figée dans le mythe ou l’Histoire, mais bel et bien traversée par une modernité électrique.

Les toiles de l’artiste italienne résistent en effet aux tentations de l’aplatissement propres au Pop art, leur préférant une iconographie de l’accélération et de la fragmentation. Par instants, une urgence chromatique poussée jusqu’à la saturation se conjugue à une structuration graphique qui frôle l’abstraction. Mais ce choc, chez Maselli, n’est jamais purement visuel tant il s’avère rémanent et sensoriel, presque somatique. L’œil ne contemple dès lors plus la métropole, il y est projeté, happé par une cadence où les formes vacillent jusqu’à l’évanouissement. La rue devient un théâtre d’apparitions incertaines, un palimpseste d’élans et de forces furtives que traduit un chromatisme heurté, ponctué d’éclats vibratiles. Car il réside, dans cette peinture, quelque chose d’insurrectionnel : une manière de contredire la fixité, de refuser la clôture de l’image. Son dynamisme même semble parfois hérité du futurisme — non dans sa célébration naïve du progrès, mais dans cette pulsation continue, dans cette manière de sonder les seuils mouvants de la perception.

Prolongeant ce regard inquiet sur la ville, Maselli cherche à faire émerger les archétypes de son époque. Transfigurés par l’effort, comme altérés par l’intensité du geste athlétique, ses représentations de footballeurs et de boxeurs incarnent alors magistralement cette tension : semblables à des corps lancés, comme sur le point de basculer, ils paraissent suspendus dans un état extrême de concentration, comme seules le sont les figures poussées jusqu’à leur point de rupture.

Titina Maselli, Panta Rhei – Everything flows, Jusqu’au 31 mai – www.raphaeldurazzo.com