Esther Teillard © Guillaume Marbeck

C’est le roman des futures vagues d’assaut de l’art contemporain. Un roman virevoltant penché sur un échantillon de jeunes étudiantes en art n’ayant pas froid aux yeux ni au reste. Féministes ultra, tendance woke décomplexées et assumées, lesbiennes pour une grande partie d’entre elles, offensives face aux offenses, enfin ce qu’elles considèrent comme telles, en guerre contre tout le monde et en premier lieu, en grattant un peu, contre elles-mêmes, ces amazones marquées aux piercings, aux tatouages et aux réparties uppercut zonent en écoles d’art. D’où la présence dans cette page de ce – bon – premier roman écrit par une jeune diplômée des Beaux-Arts de Cergy douée d’un vrai sens de l’observation de ses congénères, épaulé par une écriture imagée sans que cela ne soit jamais gratuit, et par des dialogues à vif. Échantillons de quelques personnages : Médée, « femme trans noire » fan de Paul. B. Preciado (« son messie »), expose des « cierges cramés en forme de godes » ; Debora, devenu Dean, arborant volontiers un t-shirt Fuck the patriarcat, a ouvert une cagnotte pour se payer une mastectomie ; Judith est très calée sur la « révolution anale », « l’empouvoirment », « la chosification ». Beaucoup moins, on l’imagine, sur l’Histoire de l’art de Grombrich, le Quatrocentto ou Ingres. Les cours de perspectives, d’anatomie ou de modelage ne semblent pas à l’ordre du jour chez ces futures « artistes ». Qu’en sortira-t-il, diplômes en poche ? Parions, pas grand-chose si ce n’est quelques effets de mode vite dissipés. Les collectionneurs ne sont pas complètement crétins. Carnes étonne par la justesse du regard, le rapport à une violence des mots que l’on comprend à travers le passé et le présent abîmés de la narratrice et de ses semblables. Une artiste perdue, un auteur trouvé.

Carnes, d’Esther Teillard, Pauvert, 216 p., 20,90 €.