Le plus prolifique et éclectique des cinéastes américains est de retour avec un film de fantômes, Présence, aussi jouissif que stimulant.
38 films, une dizaine de séries, des expériences vidéo à foison, 35 ans de carrière mais jamais encore Steven Soderbergh n’avait réalisé un film fantastique. Pour son retour au cinéma, après six films pour les plateformes, le réalisateur préféré des campus américains choisit de mettre en scène un film de fantômes écrit par David Koepp, le vétéran des scénaristes hollywoodiens qui a écrit pour Spielberg, Fincher et De Palma. Mais qui dit « fantastique » quand il s’agit de Soderbergh ne peut s’attendre ni à de l’horreur, ni à un quelconque mysticisme à la Shyamalan. Véritable ingénieur, expérimentant toutes les possibilités de son médium, Soderbergh demeure un pragmatique. Son fantastique se révèle donc prosaïque : il réalise cette histoire de vengeance et de hantise du point de vue du fantôme, signalant sa « présence » à grands coups de mouvements de caméras subjectives. Le fantôme arpente une grande maison que vient de s’offrir une famille très dysfonctionnelle comme il y en a dans toute sa filmographie depuis l’inaugural sexe, mensonges et vidéo : la mère glaciale trempe dans des magouilles, son mari est en pleine dépression, le fiston est un vrai « winner » de l’Amérique trumpienne et la fille s’avère traumatisée par la mort de l’une de ses camarades. Caché (ou pas) derrière des cloisons, le fantôme les observe se déchirer mais intervient aussi en rangeant des livres ou en les faisant tomber. Jamais fantôme n’a été aussi incarné. Mais le plaisir ludique à le suivre dans sa course vengeresse se révèle aussi rafraîchissant pour l’intellect. D’un côté, le plaisir est total à voir se dessiner un suspens hitchcockien (qui lorgne sur les terres de Soupçons) ; de l’autre, cette « présence » est en soi passionnante. Car qui d’autre que Soderbergh, chef opérateur de tous ses films, manipule la caméra et singe les efforts vengeurs du fantôme ? À chaque mouvement fluide de celle-ci, c’est la présence du cinéaste que nous sentons. C’est lui qui court dans les escaliers sauver la victime, c’est lui qui montre que les exorcistes sont des escrocs ; c’est encore lui qui choisit de filmer le mari accablé sur une terrasse en train de parler en secret à un juriste. En signalant cette présence, Soderbergh interroge la notion de « point de vue ». Comment raconte-t-on la sempiternelle même histoire de fantômes aujourd’hui ? Où choisit-on de se placer pour montrer la famille américaine en 2025 ? Mieux, cette présence trace de façon sensible les lignes invisibles qui relient et délient les membres du foyer. Comme au Stabylo, elle trace des lignes à l’intérieur du foyer pour montrer de quelle façon celui-ci est un terrain miné, de guerre, de secrets et de honte. Avec ses faux airs de petit film laboratoire, Présence est un grand film sur les fissures intimes d’aujourd’hui et une réflexion ouverte sur la façon dont on pourra ces prochaines années les raconter afin de mieux les rendre visibles.
Sortie le 5 février, Dulac Distribution
