Héroïne rassemble Hindemith, Bartok et Honneger dans un spectacle frappant et passionnant à l’Opéra de Nancy. 

Heureusement qu’il reste des directeurs d’opéra courageux ! Des esprits prêts à quitter les sentiers battus, à imaginer des mélanges singuliers et audacieux, sans pour autant sombrer dans la provocation facile ni les penchants vers l’antiquaille. Le spectacle proposé par l’opéra national de Lorraine, est en cela une vraie réussite.

Ce n’est pas un opéra mais trois, que nous offre généreusement Matthieu Dussouliez, sur la scène nancéienne. Trois de ces opéras « minutes » comme on en a composé un certain nombre dans la première moitié du XXe siècle, et dont rien ne présageait qu’ils seraient un jours « collés » dans le même spectacle. Car c’est bien de collage qu’il faut parler ici, ou plutôt de tuilage, en ce que le metteur en scène Anthony Almeida est parvenu, avec une vraie virtuosité, à rassembler trois œuvres aussi fortes et aussi indépendantes. Le fil directeur est cette Héroïne, qui donne son titre à l’ensemble ; fil parfois ténu mais bien réel, lequel couds les différentes pièces de ce manteau d’arlequin.

Premier volet de cette trilogie, le très rare Sancta Susanna de Paul Hindemith. Créée à Francfort en 1922, l’œuvre est un petit bijou de provocation sacrilège, dans le pur esprit outrancier de la république de Weimar. On y assiste aux délires sexo-mystique d’une nonne, qui finit par s’accoupler avec un crucifix ! Par le thème et le tissu orchestral, on est dans une manière de Salomé compressée, passée par le filtre de l’expressionnisme. Almeida aurait pu aller plus à fond dans le scandale et la démesure (dans un esprit à la Ken Russel) mais la musique de Hindemith est si forte et les deux religieuses si enflammées (remarquables Anaïk Morel et Rosie Aldridge) que le rideau se baisse devant un public assez sidéré, malgré les 30 minutes de musique.

La surprise est moins frappante avec Le Château de Barbe bleue de Bartók, car l’œuvre fait partie des sommets reconnus de l’art lyrique. Cet opéra d’une petite heure, créé en 1918, n’en reste pas moins fascinant. Cette rage concentrée, cette puissance suffocante, la (fausse) simplicité de l’intrigue et des protagonistes, confinent à l’épure. Un opéra dégraissé, à l’os, admirablement équilibré. Le dispositif scénique imaginé par Almeida pour symboliser l’ouverture des sept portes du château de l’ogre est sobre et élégant. A nouveau on est dans la retenue, dans le refus du moindre effet, et tout n’est qu’ombre et lumière. La Judith de Rosie Aldridge (qui enchaîne aussi sec avec son rôle dans Hindemith !) et le Barbe Bleue de Joshua Bloom sont ainsi en majesté. Et le public, à nouveau, est conquis. Tant de pensums lyriques n’atteignent pas le génie brut de cette heure de musique pure !

Avouons que la soirée aurait pu se contenter du diptyque, et que le troisième volet pâtit un peu du coitus interruptus de l’entracte. Mais c’est toutefois avec une vraie curiosité qu’on a découvert la rarissime Danse des morts d’Arthur Honegger. Créé en Suisse en pleine drôle de guerre (mars 1940) cet oratorio est le petit frère contrefait du Roi David et de Jeanne au bûcher. N’étaient des chœurs spectaculaires et le métier indéniable d’Honegger (la musique de film lui a fait du bien) on a l’impression que l’œuvre se cherche elle-même. Quant au texte de Claudel, il est… claudélien ! Mais cet épilogue permet à Almeida de clore sa trilogie en rassemblant les personnages des deux autres chapitres. Et puis la cheffe Sora Elisabeth Lee peut faire briller l’orchestre de l’opéra national de Lorraine avec passion (même si les chœurs semblent parfois poussés à leur extrême limite). 

Une soirée en trois langues, trois univers, trois atmosphères orchestrales, trois inspirations, mais une seule et même volonté de sortir des sentiers battus avec une belle intelligence. On en redemande ! 

Héroïne, Hindemith, Bartok, Honneger, direction musicale Sora Elisabeth Lee, mise en scène Anthony Almeida, Opéra National de Lorraine, jusqu’au 12 octobre. Plus d’infos sur https://www.opera-national-lorraine.fr