Madame Butterfly vient d’être créée au Festival d’Aix-en-Provence, avec l’immense chanteuse Ermonela Jaho dans le rôle-titre, portée par la musique de Puccini. Production que l’on retrouvera à Lyon en janvier prochain.
Et si la véritable tragédie de Butterfly se jouait dans l’ombre ? C’est le postulat délicat de cette nouvelle production de Madama Butterfly présentée en ouverture du Festival Lyrique d’Aix en Provence. Axant sur la dimension intime, intérieure même de l’opéra de Puccini, la mise en scène de l’allemande Andrea Breth, en accord avec la direction musicale de Daniele Rustioni, nous offre le spectacle d’une héroïne toute en grâce et retenue, dont la puissance ne s’exprime que par le chant, et le final, inouï, de cet opéra de l’amour perdu.
Ainsi tout commence dans le décor solennel de l’archevêché. Ce soir de première à Aix, se dresse sur scène une maison traditionnelle japonaise, entourée de barreaux : la cage de la jeune Butterfly est installée, ne manque plus que le papillon pour y entrer. Avant cela, dès l’ouverture, apparaîtront sur un tapis roulant des acteurs immobiles en costumes, figures d’un Japon éternel, sombres et masqués, empruntés au Théâtre Nô. D’emblée, nous sommes dans un lieu symboliste et dépouillé, qui pourrait être celui de Mizoguchi, aussi majestueux que prémonitoire du destin morbide de la jeune femme. Nous sommes en effet dans un univers à la lumière mouvante, où les personnages peuvent s’effacer après être apparus. Au mi-temps de l’opéra, des grues traverseront le plateau, portées par des hommes en kimonos, animaux sacrés du Japon traditionnel. Andrea Breth cherche une mise en scène théâtrale et mystique, sans spectaculaire. Par instants, elle la trouve, à d’autres elle nous enferme avec ses personnages dans cette petite maison du drame, dans une mise en scène qui manque un peu de souffle pour porter un tel opéra.
Les premiers à se présenter sont les hommes, les « yankees », Pinkerton et Sharpless, et entre eux, Suzuki, à genoux, lavant les pieds du maître. Le décor est placé, les maîtres en la demeure vont prendre possession des lieux, et des femmes. Dans la musique, l’hymne américain annonce la puissance. Pinkerton est un jeune homme nerveux, incarné par un Adam Smith virevoltant, bien qu’un peu métallique dans son interprétation. L’opéra prend réellement son ampleur à l’arrivée de Cio-Cio-San, la Butterfly : car que dire de l’interprétation d’Ermonela Jaho, sinon qu’elle demeurera pour tous ceux qui l’ont entendu, inoubliable ? La chanteuse a l’allure de la geisha de quinze ans, et la candeur qu’elle porte dans son chant avec une finesse exceptionnelle. Son apparition dans la fameuse scène du cortège nuptial, dans un kimono de noces blanc somptueux qui lui figureront les ailes dans le dos, impose sa grâce. Kimono que Pickerton prendra le temps de défaire, comme ôtant les ailes à la Butterfly. Une avancée dans la vulnérabilité que Jaho inclut dans son chant et son jeu. Car la chanteuse albanaise est loin d’être une débutante, ni dans le rôle, ni chez Puccini ou Verdi : elle a chanté la Traviata près de trois cents fois, s’imposant depuis vingt ans, comme l’une des plus fines interprètes du « vérisme » italien. Or, c’est bien avec toute la vérité de son jeu, qu’elle va mener Cio-Cio-San à une mort ritualisé, un seppuku, dont le sabre lui sera apporté par un homme en noir, masqué, véritable Commandeur de ce conte japonais. Elle meurt dans un coin de la scène, alors que les autres personnages demeurent, figés mais présents. Cette fin-là est très réussie, illustrant la solitude absolue de Cio-Cio-San, et sa muette tragédie. Madame Butterfly, opéra de l’intériorité brisée ? Oui, sans doute, et l’on pense alors que la jeune Japonaise abandonnée sur les rivages de son île est la sœur cachée de la Bérénice de Racine, renvoyée dans son pays par un empire qui la méprise comme étrangère. Les empires sont des machines à broyer l’innocence, et le chant de mort de Butterfly, qui a inscrit depuis plus d’un siècle cet opéra dans le panthéon lyrique mondial, ne cessera de résonner comme la voix de l’innocence sacrifiée.
Madame Butterfly, de Giacomo Puccini, direction musicale de Daniele Rustioni, mise en scène d’Andrea Breth, les 8, 10, 13, 16, 19, 22 juillet au Festival d’Aix-en-Provence. Pour plus d’infos www.festival-aix.com
Et du 22 janvier au 3 février 2025 à l’Opéra de Lyon