Magnifique documentaire que ce Sinjar, signé Alexe Liebert, où l’on se plonge dans l’horreur que Daesh a imposée aux Yézidis, au nord de l’Irak. Glaçant.
En Occident, l’indignation est à géographie variable, on le sait. Tout le monde ou presque, a oublié la destruction des Chrétiens d’Orient et celle des Yézidis par l’État islamique, au profit de la seule Palestine. C’est un oubli volontaire, un acte de guerre, ni plus ni moins, contre les non-musulmans, quels qu’ils soient. Le film d’Alexe Liebert tente de rappeler le pogrom dont fut victime tout un peuple de 2014 à 2019 environ, parce que ses membres croyaient différemment de l’Islam sunnite majoritaire dans cette région du Moyen-Orient. Les Yézidis croient en un Dieu unique et en des anges protecteurs. Ses origines sont l’objet de multiples interprétations et l’ironie atroce est que l’Islam fut sans doute une source d’inspiration à travers le soufisme, lequel a lui-même toujours souffert de l’orthodoxie musulmane. Les Yézidis, ces Kurdes, vivent dans le nord de l’Irak, là où se trouvent précisément les monts Sinjar. Le film débute comme un poème, une prosopopée, une voix féminine et française qui serait le mont Sinjar, exprime la douleur d’un territoire et de ses habitants. Daesh est arrivé là en 2014, séparant les hommes des femmes et des enfants. Les premiers furent en grande partie assassinés dans des scènes identiques à la Shoah par balles : fossés puis fusillades. Ou bien il y eut des égorgements, des tortures entraînant des agonies démentes. Les femmes et les gamines furent vendues comme esclaves sexuelles. Certains petits garçons furent enrôlés dans les troupes de l’État islamique. Un témoin qui cherche à retrouver les victimes explique que les ventes d’esclaves se faisaient souvent via Facebook, Whatsapp ou Telegram. Les femmes coûtaient entre six et sept mille dollars. Les jeunes filles de neuf à quinze ans valaient entre huit et dix-sept mille dollars. Une vierge valait évidemment beaucoup plus. Un garçon de moins de treize ans se vendait entre mille cinq cent et quatre mille dollars. Les soldats et les familles de Daesh – les femmes officielles des soldats se comportaient en tortionnaires – revendaient sans cesse leurs esclaves, les violant tout en les obligeant à apprendre le Coran à des cadences infernales – cent pages en une semaine nous disent une femme Yézidi. Mais faut-il en parler au passé ? Encore trois mille d’entre eux sont portés disparus. Daesh est toujours là en dépit de sa défaite. Les talibans aussi avaient perdu, fin 2001, et ils sont revenus. Daesh attend son heure. Le film montre les très jeunes gosses survivants, le difficile travail de dés-islamisation de leur esprit. Un homme raconte que l’un d’eux menace de mort les femmes non voilées dans les rues. Il faudra une nouvelle génération épargnée par cette catastrophe pour reconstruire vraiment. L’ONU étudie toujours la possibilité d’appeler génocide ce qu’a subi ce peuple, alors que oui, évidemment, c’est un génocide. Mais encore une fois, l’indignation est à géographie variable chez ces gens-là. Une chanson psalmodie et s’interroge « Quelle religion, quelle croyance autorise la vente des filles et des femmes ? Ils pillent, ils anéantissent. Ils immolent les vieillards. Dans quelle religion dans le monde voit-on des choses pareilles ? » Daesh s’est chargé de donner la réponse.
Alexe Liebert, Sinjar, naissance des fantômes, La Vingt-Cinquième heure, sortie le 19 juin