À l’opéra de Lille, le metteur en scène Laurent Pelly adapte en français, à la demande de la directrice du lieu, La Chauve-souris de Strauss. Promesse d’une opérette éclatante.

Quelle est la genèse du projet ? 

Il y a deux ans, j’étais à Lille pour monter Le songe d’une nuit d’été, opéra de Britten écrit d’après l’œuvre de Shakespeare. J’ai adoré cette aventure et travailler avec l’équipe de l’opéra. Il faut dire que les conditions de travail y sont assez exceptionnelles. J’ai très vite émis l’idée de façon très naïve, auprès de la directrice du lieu, Caroline Sonrier, que j’aurais grand plaisir à revenir créer ici. Elle m’a alors parlé d’un projet qu’elle avait de longue date :  porter au plateau La Chauve-Souris de Johann Strauss, mais en version française. Son idée était de partir du Réveillon, pièce d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, qui a servi de base au livret de l’opérette. Avec Agathe Mélinand, dramaturge avec qui je collabore depuis longtemps, nous nous sommes donc attelés à la tâche en travaillant à la fois à partir du texte original et de la traduction faite, il y a une quinzaine d’années par Moshe Leiser et Patrice Caurier des parties chantées. L’œuvre étant très dialoguée, il est important d’être au plus proche des tempos et des rythmiques que cela impose.

Comment se confronte-t-on à une œuvre qui est considérée dans le domaine des opérettes viennoises comme un monument ?

Je ne suis pas familier de ce type d’œuvres. J’ai plutôt mis en scène des opéras-bouffes, et notamment pas mal d’Offenbach. Et c’est vraiment deux choses très différentes. Mais j’avoue que j’étais très curieux et intéressé d’aborder ce type de répertoire, et particulièrement cette pièce, qui, comme vous le dites si justement, est une institution. Après, j’avoue que je ne me serais pas lancé dans l’aventure, si le texte était resté en allemand. Il y a trop de traditions autour de cet ouvrage et puis je pense que pour l’appréhender dans sa version originale, il faut être germanophile, notamment parce qu’il y a beaucoup de références politiques et historiques. Et je ne le suis pas. L’idée de repartir de la pièce originelle me plaisait donc beaucoup, d’autant que je connais très bien le travail de Mailhac et Halévy, var ils sont les librettistes attitrés d’Offenbach. Et puis le fait que cela se passe dans une petite ville de la France profonde, nommée Pincornet-les Bœufs, donne au scandale, à l’humiliation que cela évoque, une dimension plus vaudevillesque et moins tragique. J’aimais bien l’idée de pouvoir traiter cette descente aux enfers un peu à la Feydeau de manière légère et absurde.

Qu’est ce qui a nourri votre mise en scène ? 

Esthétiquement, avec Chantal Thomas, la scénographe, on est parti de l’œuvre de Rothko. Après, je souhaitais que l’on sente, rien qu’aux décors, l’idée d’enfermement. La pièce commence donc dans une sorte de boîte rouge, couleur du désir. Après nous avons fait volontairement le choix de n’utiliser aucun accessoire, mais de jouer sur les couleurs qui s’harmonisent avec la musique, sa vitalité, son énergie. On est dans quelque chose d’un peu abstrait, mais très coloré, très vivant. Et puis si les peintres m’inspirent, je suis aussi très marqué par la narration onirique des films, et notamment ceux de Fellini et des cinéastes qui lui sont affiliés. 

La Chauve-souris de Johann Strauss, direction musicale Johanna Malangré, mise en scène Laurent Pelly, à l’Opéra de Lille, du 4 au 17 juin.