À Dijon, l’édition 2024 du festival Théâtre en mai s’annonce éclectique et pluridisciplinaire. Ayant à cœur de mettre en avant les écritures contemporaines sous toutes ses formes, Maëlle Poésy a imaginé une programmation où se côtoient artistes émergents et confirmés.
Depuis trois ans, qu’elle dirige le Théâtre Dijon Bourgogne, Maëlle Poésy insuffle au festival trentenaire de nouvelles inflexions qui font écho aux bruits du monde, mais aussi aux profondes réflexions qui agitent et habitent la création contemporaine. Cette édition 2024 n’échappe pas à la règle. S’inscrivant comme un moment à part dans la saison, tout en gardant un lien évident avec le projet de la metteuse en scène pour le CDN, elle est, cette année, placée sous le signe de l’héritage et de la transmission. Bien que resserrée, la programmation n’en est pas moins foisonnante et riche de découvertes. Elle a été pensée pour inviter les festivaliers à plonger dans des univers, des écritures et des esthétiques très différents. C’est d’ailleurs dans cette perspective, qu’elle décide de représenter au public dijonnais, mais cette fois dans sa forme originelle, en extérieur, Anima, spectacle singulier et poétique, qu’elle a coécrit avec la photographe Noémie Goudal.
Au Parvis Saint-Jean, centre névralgique du festival, Jennifer Cousin ouvre le bal avec Mode majeur de la fugue. Imaginée comme autoportrait, celui d’une jeune femme issue d’un milieu paysan émancipée par l’art, cette performance, créée en 2022, est une parfaite mise en bouche pour se laisser porter vers des ailleurs proches autant que lointains. À la Minoterie, la percutante Rébecca Chaillon entraîne le public dans une assiette géante, blanche, impersonnelle, rappelant celle des cantines des établissements scolaires afin de mener une réflexion sur la construction identitaire de quatre ados de culture, d’origine, de genre et d’orientation sexuelle différentes. À l’âge où les hormones titillent, les corps se forment, tout est encore possible. Quant au Lench d’Éva Doumbia, qui est aussi habitée par les questions liées à l’Afropéanité, il plonge dans le quotidien d’une famille confrontée à la discrimination et aux violences policières.
Autres démarches, mais même buts, Christiane Jatahy, avec Depois Do Silêncio (Après le silence), et le duo Justine Berthillot-Mosi Espinoza, avec On ne fait pas de pacte avec les bêtes, convient le spectateur à un voyage immobile vers l’Amérique du Sud. Loin d’une balade touristique et culturelle, les deux spectacles mettent en lumière, chacun à leur manière, à travers un dialogue entre interprètes d’origine brésilienne au plateau et leur double en vidéo pour l’une, et par le biais du cirque, de l’expressivité du corps pour les autres, l’impact du racisme et de la domination occidentale sur les indigènes. Déforestation, culture de l’esclavagisme, us et coutumes en perdition sont au menu de ces deux œuvres qui usent de poésies et de transes chamaniques pour dépasser les mots et réveiller les consciences.
En prise directe avec l’actualité européenne, Tatiana Frolova et les autres membres du KnAM théâtre – compagnie russe, basée à Komsomolsk-sur-l’Amour, aujourd’hui réfugiée en France, racontent, dans Nous ne sommes plus…, leur exil suite à l’entrée en conflit de leur pays avec l’Ukraine. Autre époque, autre combat, avec Partie, l’excellente Tamara Al Saadi invite, grâce à un échange épistolaire bouleversant entre un gamin enrôlé trop tôt et sa mère, le public à plonger dans l’enfer des tranchées, à vivre de l’intérieur la boucherie que fut Première Guerre mondiale. Sa mise en scène immersive – bruitages et effets scéniques à vue – d’une rare intensité, est clairement l’un des temps forts de cette édition.
Plus léger, mais pas moins ciselé, Illusions d’Ivan Viripaev, mis en scène par Galin Stoev, est l’occasion de voir pour la première fois au plateau les sept comédiens de l’AtelierCité, la troupe du Théâtre de la Cité à Toulouse. S’intéressant aux sentiments amoureux, notamment au crépuscule de vies bien remplies, le texte de l’auteur russe résonne telle une comédie douce amère, mordante et profondément humaine.
Théâtre en mai au Théâtre Dijon Bourgogne, du 17 au 26 mai