Takesada Matsutani est le chantre de la colle vinylique. Depuis 60 ans, il crée des peintures bulbeuses d’une singulière force méditative présentées chez Hauser & Wirth.

Petite silhouette courbée. Œil vif et malin. À 87 ans, Takesada Matsutani paraît frêle devant ses immenses tableaux. La maîtrise de son art l’aurait-elle surpassé ? Oui, sans doute, mais avec l’assentiment contrôlé de l’artiste qui eut l’intelligence de laisser au matériau une certaine liberté, favorisée par les énergies du vent et de la chaleur invitées à participer à la mise en forme de ses étranges auréoles picturales qui se gonflent, se plissent et s’épanchent en coulures spontanées. Depuis ses débuts, lorsqu’il était membre de l’influent groupe japonais Gutai (fondé en 1954 et dissout en 1972), le peintre d’Osaka a souhaité créer des peintures en relief dont les formes évoqueraient des présences organiques. « Ne copie pas, fais du neuf », telle était la devise de ce groupe d’artistes d’avant-garde qui revisite le geste calligraphique en autant de taches, traits et éclaboussures abstraites.  Matsutani va s’y plier. Déjà, il pensait à la vie dans la matière, déjà il imaginait comment la phénoménologie naturelle pouvait être force créatrice. Autant de réflexions qui passionnent aujourd’hui une partie des jeunes artistes en quête de compositions en prise avec l’environnement. De ce point de vue, le style Matsutani est défricheur. Très tôt, il utilise de la colle à bois dont il guide l’écoulement sur la toile de coton, observant sa viscosité et sa malléabilité. « La première fois que j’ai versé de la colle sur la toile, je me suis rendu compte que grâce au vent et au froid elle prenait forme » explique-t-il. Dès lors, il ne cessera de gonfler des bulles de colle qui palpitent, soufflant doucement dans une paille pour modeler leur volume avant de les fixer au sèche-cheveux. La pratique prend les allures d’un rituel et se complexifie. L’artiste intègre des matériaux de bois pour retenir les poches de colle comme autant de panses enflées d’air. Certaines éclatent. L’artiste laisse alors l’embouchure visible. La peinture devient sculpture, bas-relief.

Lorsqu’il arrive à Paris en 1966 grâce à une bourse du gouvernement français, il fréquente l’Atelier 17 dirigé par le peintre Samuel William Hayter. Cette rencontre insufflera à son art d’autres cheminements. La colle se mêlera au graphite noir et l’artiste débutera ses célèbres séries d’immenses tracés de plusieurs mètres de long terminés par d’explosifs jets de matière. La totalité de son œuvre graphique (375 pièces) vient d’ailleurs de faire l’objet d’une donation à l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) alors qu’une première donation avait été faite au Centre Pompidou en 2019 – ce qui avait donné lieu à une exposition. Dans les espaces luxueux d’Hauser & Wirth, les toiles de Matsutani vibrent en majesté, certaines, maculées de reliefs blanc ivoire, datent de l’époque Gutai, d’autres, au tracé plus gestuel, inondées de noirs et de violets intenses, sortent tout juste de l’atelier. L’artiste a même pensé une composition venant épouser les courbes d’une fenêtre de la galerie alors qu’à l’étage une rare sculpture maintient dans un cube de plexiglas ses étranges bulbes de colle qui ressemblent à des champignons en expansion. Matsutani est un des grands artistes radicaux de l’après-guerre, à l’instar de Sam Francis et de William Morris avec qui il partage la poésie de la tache et de l’informe. Ici ancrée dans l’épure japonaise. Magistral !

Matsutani, jusqu’au 18 mai, Galerie Hauser & Wirth