Coup double pour Taménaga en ce printemps : de très belles œuvres et la découverte de peintres japonais contemporains…

De même que le quatuor d’artistes de Düsseldorf qu’on a pu voir ce mois de mars chez Le Feuvre & Roze, les fruits cueillis par Taménaga sur l’arbre de la peinture japonaise contemporaine ne déroutent pas seulement le critique avide d’explications unifiantes par leur variété de formes, de succulences. Tant les œuvres de ces artistes, nés entre 1976 et 1991, ont chacune ce je-ne-sais-quoi qui ravit le palais et résiste à l’analyse. 

Ce qui n’est qu’une manière de dire qu’elles sont vivantes. « Vivantes » ? Mieux même : on a, en les regardant, « la sensation inexplicable […] de vivre davantage. De vivre en quelque sorte de la tête aux pieds. » On me pardonnera d’introduire en contrebande cette citation dénuée de tout rapport apparent avec l’objet de ces lignes (elle est de Charles Duits, elle concerne André Breton), mais elle s’applique si parfaitement à chacun des protagonistes de cette exposition qui vivifie si bien, qui réveille avec tant de vigueur et d’enthousiasme l’œil même le plus blasé !

Voici l’arcimboldienne punk Yuki Fujiwara : la mécanique du corps, assemblage littéral et emblématique de créatures animales, l’excessive richesse (au sens alimentaire) de ce memento mori mâtiné de nature morte – c’est l’organisme dans ce qu’il a de plus vivant, ses fonctions, ses appétits. Tellement vivant que, nous indique ce crabe-cancer qui loge dans le bassin, la vie englobe même la mort. A l’instar de l’engourdissement de givre (aiguilles cassantes, ramifiées, hérissées) des superbes paysages de Ryoichi Taguchi, où passent cependant les vents et les eaux – le souffle et la liqueur vitales par excellence. Et que dire des frissonnements polychromes de Mamiko Takayanagi ? C’est simultanément la sensibilité en éveil d’une trémulation de la peau et l’ultime tremblement avant le terminus de toute existence. 

« Vivre davantage » : refuser la stase. Ainsi, chez Yurika Kinoshita, les végétaux sont moins des végétaux que des remous animés d’une prodigieuse et perpétuelle palpitation. Comme les courants d’un cosmos surpris en pleine création. Point de tournoiement coloré dans la bichromie sévère certes, paralysée non, de Naoko Murata, mais un déséquilibre, une confusion dans la géométrie qu’on dirait sortis de Lovecraft ; mais, grouillante, une infime ponctuation : l’écriture secrète, cellulaire de nos mouvements vitaux ?

« Vivre de la tête aux pieds », par l’esprit, par le corps : Masako Nakahira applique la formule à la lettre, ces paysages combinant la saisie schématique de l’entendement et l’enchanteur chatoiement des sens. Vivre de la tête aux pieds, non pas être habillé de pied en cap, tant s’en faut : Wataru Ozu plonge le splendide silence de ses toiles dans le bain doucement dissolvant de ses pâleurs claires. Quête de la nudité de la lumière, de l’étincelle vitale qui en tout et tous s’épand ? Toujours est-il que l’étincelle qui couve dans l’œil, le dernier peintre, Shoji Takeuchi, l’embrase d’une vie ardente, ses œuvres invitant à l’investigation minutieuse, indéfiniment ravivée, du regard.

Nouvel Horizon Japon, galerie Taménaga, jusqu’au 13 avri