Le Floridien Hernan Bas revient chez Perrotin avec de grandes toiles colorées qui interrogent les rituels touristiques réels ou imaginaires.

Comme à son habitude, Hernan Bas entretient l’ambiguïté. Ses grandes toiles composent des scènes étranges qui semblent sorties d’une bande-dessinée extravagante dans laquelle les personnages, souvent de jeunes hommes, se retrouvent dans des paysages saturés de références à l’histoire de l’art. Comme si le fantastique de Peter Doig et ses barques fantomatiques avaient rencontré les symbolistes du 19e siècle. Boulimique, le peintre joue des images « clichés » pour en faire des scènes de genre contemporaines qui campent l’érotisme solitaire d’une jeunesse un peu perdue ou bien la luxuriance de mondes rêvés bientôt submergés par le chaos. Les couleurs sont étranges également, volontairement. Le rouge tirant vers le sanguin, les verts s’étiolant vers le brun, le rose s’évanouissant vers le cramoisi. Mais c’est sans compter l’exaltation à toute épreuve de ces compositions magistrales dans lesquelles l’artiste ne manque pas d’espièglerie. Pour cette nouvelle série, il part en voyage, fait son Grand Tour, à la poursuite des traces laissées par les touristes lors de leur passage dans des lieux à visiter. « Le point de départ est l’affaire récente et embarrassante d’un touriste surpris en train de graver son nom sur l’ancien mur du Colisée de Rome. Même si cet acte était loin d’être admirable, il m’a rappelé le genre de marques et de lieux auxquels les gens ressentent le besoin d’attacher leur nom (parfois littéralement). Il s’agit d’un acte de tentative d’immortalité à une échelle mineure » écrit-il. À partir de là, dans ses toiles, il imagine, comme l’indique le titre de l’exposition The First and the last, le dernier gardien du dernier musée sur terre, d’autres toiles titrant His first taste of Absinthe et His last taste of Absinthe, évoquant son admiration pour les impressionnistes. Le graffiti touristique devient prétexte à construire des histoires imaginaires autour de la notion de marques laissées par des amoureux au creux d’un tronc d’arbre, de fiertés ancrées dans une médaille – l’artiste fait ici un clin d’œil aux Jeux Olympiques qui débarquent à Paris – ou de selfies devant la tour de Pise, figés dans les téléphones portables. À travers ces récits, il s’interroge aussi sur la fin de l’art dans une vision eschatologique. Les traces resteront-elles si le monde brûle, si les monuments s’effondrent, si les forêts sont décimées ? L’art survivra-t-il ? A-t-il ce pouvoir d’immortalité qu’on lui prête sans cesse ? A l’appui de cette réflexion, The Last carving before the fire (Lahaina, Hawaii Aug. 7th 2023) représente le banian vieux de 150 ans de la ville hawaïenne de Lahaina dont l’écorce est régulièrement entaillée par les initiales des touristes. Or, en août dernier, la ville a été décimée par un incendie de forêt massif emportant avec lui des centaines de ces cicatrices. Mais Hernan Bas continue, lui, de peindre, preuve qu’il reste fermement convaincu par l’éternité du geste artistique.

Hernan Bas, The first and the last. Du 13 avril au 1er juin, Galerie Perrotin