Elle parle de choses élémentaires – la vie, l’amour, la mort-, d’une façon aussi singulière que merveilleuse. Géante de l’art contemporain, cette artiste à la grâce de funambule a su faire de l’humilité tranquille sa marque de fabrique, aux antipodes de ses coreligionnaires parfois pontifiants. L’art comme un jeu léger et si profond…

Ce jour-là il pleut comme vache qui pisse et Malakoff a des airs de banlieue à la Fallet. Pas très gaie, pas très triste non plus…peut-être parce que l’on se souvient de soirées passées dans le bâtiment abritant le lieu de vie et l’atelier d’Annette Messager. Sophie Calle vit à côté. D’autres y ont longuement habité, comme Bob Calle, le père de Sophie. Je pense aussi à David Rochline, rencontré à l’adolescence alors qu’il chantait dans Fruits et Légumes, le groupe de rock dans lequel officiait aux percussions mon frère aîné. Je le retrouvais, jeune adulte, au Palace puis plus tard, dans son atelier-habitation que ce démiurge multicarte avait transformé en anxiogène palais des mille et une nuits revu par Alexandre Trauner. Sombre était le lieu, sombre est le souvenir des nuits envolées. Je rendais aussi visite à Sophie Calle un soir de Noël où le cadeau que j’apportais rejoignit, non ouvert, ceux des autres convives dans un lieu dévolu à leur sieste pour l’éternité, ou presque, sous les « regards » d’aveugles portraitisés par l’artiste. Je n’avais jamais croisé lors de mes passages Annette Messager et Christian Boltanski, les autres occupants de cet ancien entrepôt de métaux transformé en phalanstère avec les limites du genre : tous ensemble, mais chacun chez soi. Les hommes, depuis, sont morts, Bob Calle en 2015, David Rochline la même année, Christian Boltanski en 2021. Restent les deux femmes, fêtées, honorées, statufiées. Voisines, solitaires et amicales, partageant le même amour pour la fantaisie érigée en art de vie, et les chats. 

   La première fois que je vis Annette Messager, c’était en octobre dernier, au Louvre, à l’issue d’une conversation menée par Hans Ulrich Obrist. La porte des toilettes hommes s’ouvrit pour laisser sortir cette petite femme brune et menue, me gratifiant, devant mon étonnement gêné (m’étais-je trompé de porte, mais non) d’un « nobody’s perfect » de bon aloi. Ce soir-là, sur scène, Annette Messager ne donna pas le meilleur d’elle-même, pas plus que les autres artistes conviés à évoquer leurs rapports au musée, peut-être parce que le sujet est si vaste et si écrasant que l’exercice limité à quelques minutes par intervenant ne pouvait être que décevant. Amusante par ses boutades et coqs à l’âne, l’artiste semblait se demander ce qu’elle faisait là. Allais-je en savoir plus ? La remarquable exposition que lui consacre à Paris la galerie Marian Goodman, exposition traversée pour qui sait lire entre les lignes, de délicats hommages à l’homme aimé envolé, était en tout cas une façon d’aller plus loin que ce « nobody’s perfect » inaugural. 

                     Refus des cases, féministes et autres

       Me voici donc, chez elle, ou plutôt chez eux, même si la présence de Boltanski est réduite au minimum syndical qu’impose la pudeur des vrais élégants : une Empreinte au bas d’un mur sur lequel trône en majesté une femme de Picabia, période peintre mondain. Dans la pièce-salon, une baie vitrée donne sur quelques bouleaux dont la blancheur presque aveuglante sous ce ciel de suie semble éclairer la pièce. Ce petit jardin à la sérénité orientale fut autrefois recouvert de tôles ondulées. Du lieu originel, Messager et Boltanski ont créé leur espace à eux, à la fois dépouillé et chaleureux. « On avait pris un architecte qui s’est disputé avec sa femme. Il nous a laissé tomber. On a fait tout ça un peu nous-mêmes. C’est pas si mal ». Je vois, posés Pêcheur de perles, le dernier Finkielkraut, De plomb et d’or, le récent roman à clés de François Jonquet dans lequel apparaît « la Messagère » comme l’écrivain surnomme son amie rencontrée à 20 ans. Et aussi 3 nanas de Nathalie Piégay, ouvrage consacré à trois monstresses de l’art, Nikki de Saint Phalle, Louise Bourgeois, et naturellement – nobody’s perfect-, Annette Messager. « Je n’ai pas souhaité parler à l’auteur, je n’avais rien contre le projet, je lui ai dit : écrivez votre livre, on verra après ! ». Annette Messager conserve de mauvais souvenirs de ses deux consœurs, Nikki de Saint Phalle, hautaine à la limite du mépris à une Biennale vénitienne : « J’ai commencé à lui parler, j’ai senti que ça ne lui plaisait pas du tout. J’étais la jeune. Elle a dû se dire que j’étais la concurrente qui allait lui piquer sa place. J’étais un peu déçue, mais que voulez-vous ? » Quant à Louise Bourgois elle se révéla antipathique, détournant la tête alors qu’on les présentait à New York. La « sororité » n’est pas toujours un lit de pétales de roses (les épines ont aussi leur mot à dire).  Et puis ce voisinage éditorial avec deux femmes est, selon elle, une façon d’assigner à son sexe une artiste qui s’est toujours défiée des cases, féministes et autres. Annette Messager se voit avant tout comme un être humain versé dans l’art, même si bien sûr, elle en convient, beaucoup de ses interrogations se rapportent au sexe qui la définit aussi.  

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Annette Messager Laisser aller Galerie Marian Goodman jusqu’au 11 mai, plus d’informations