Au confluent de la pensée et du rêve, du jeu et de l’art, les tableaux de l’Allemand Matthias Bitzer captent et captivent l’attention. Remarquable.

Matthias Bitzer est allemand, nous renseigne son état-civil qui, entre autres données biographiques, nous fournit également son année de naissance, 1975. 

Matthias Bitzer est, de son propre aveu, de ces artistes pour qui la peinture est un outil d’investigation des zones, des mécanismes et des mouvements par lesquels les images se forment et muent sur l’écran de la conscience.

Matthias Bitzer, cela ne nous surprendra pas, invoque Picabia et Duchamp.

Matthias Bitzer peint, je l’ai laissé entendre, mais les tableaux-boîtiers qu’on verra chez Almine Rech n’ont pas la rassurante, la confortable assise de la toile étalant majestueusement et immobilement ses prestiges sur le fond docile du mur.

Matthias Bitzer conçoit donc de petits coffrets verticaux : cadre en bois, toile, miroir, dont « la position, m’explique-t-il, n’est pas figée, ils ne seront pas fermés, ou ouverts ou entrouverts dans une position permanente ».

Matthias Bitzer élabore et réalise ainsi ce qu’on appellera, faute d’un meilleur terme, des objets expérimentaux philosophiques, susceptibles de produire des jeux de « reflet et de double reflet », aux fins de juger des modalités de la constitution des images dans notre esprit. 

Matthias Bitzer, comme le lecteur et l’auteur de ces lignes, en aurait sans doute assez de cette docte et raide présentation. Ce n’est pas parce qu’on philosophe, fût-ce en peinture, qu’il faut être aride – ce que précisément Matthias Bitzer n’est jamais.

Ses portraits ont cette qualité d’extinction, ou de matérialisation ectoplasmique, in progress, dans le flou d’une rêverie, d’un Eugène Carrière. Ses visages adoptent parfois l’éloquente simplicité de découpe d’une tête qu’un archéologue eût croquée sur un très ancien site, mais peuvent aussi affecter la facture soignée, grave et résolue d’on ne sait quelle héroïne contemporaine. Ses lumières sont détaillées, nuancées, songeuses.

Rêveur, donc, notre opérateur de concepts. 

Mais à quoi rêve Matthias Bitzer ?

À la peinture, certainement. À l’anecdote fameuse, peut-être, rapportée par Pline l’Ancien, selon laquelle le maître grec Zeuxis, prenant pour un rideau réel une factice tenture sur le tableau d’un rival, demanda qu’on la soulevât pour voir la toile. 

Dans sa peinture-rêve, Matthias Bitzer lève effectivement le rideau. Les miroirs, les dissolutions atmosphériques des images, les variations des angles de vue permises par ses tableaux mobiles : autant de façons de lever des tentures. De moduler les degrés de présence. De varier les modalités d’apparition. Et ce sein au sein de l’œuvre elle-même, en ayant recours à ses composantes : la toile, les miroirs, le mécanisme d’ouverture.

Matthias Bitzer est certainement philosophe, c’est entendu.

Matthias Bitzer est peintre, c’est entendu également.

Mais Matthias Bitzer pourrait surtout être le héros d’on ne sait quel conte romantique allemand. On le verrait bien figurer un personnage de peintre qui aurait trouvé le secret de rentrer dans ses propres œuvres. Et d’y intervenir à sa guise, comme un metteur en scène. 

Matthias Bitzer, Caligothek, du 24 février au 30 mars, galerie Almine Rech