Branly trace le beau portrait de trois femmes qui ont combiné anthropologie et interrogation engagée. Fascinant !

Voilà une de ces expositions dont Branly a le secret et où s’entrelacent à d’extraordinaires documents la biographie. Lesbiographies. Celles de la grande romancière Zora Neale Hurston (1891-1960), d’Eslanda Goode Robeson, qui fut plus que « femme de » (de Paul Robeson), mais porteuse d’une parole engagée, et de Katherine Dunham (1909-2006), un des astres de la danse au XXe siècle. Ces trois femmes afro-américaines sont les héroïnes d’un épisode captivant de l’histoire des idées, dans ce que celle-ci a de prodigieusement actif – comme on dit qu’une substance quelconque est active. 

Héroïnes, elles ont leur arme : leur art ou leur voix, bien entendu, mais aussi une discipline qu’on croyait être l’apanage du sexe dit stupidement fort : l’anthropologie. Oui, approuve la commissaire de l’exposition, Sarah Frioux-Salgas, l’anthropologie, chacune de son côté dans cet intrépide trio s’en est servie comme d’un instrument. À quelle fin ? Eh bien, poursuit Sarah Frioux-Salgas, pour tenter de se définir, de tracer les contours d’une communauté, du Sud de Zora Neale Hurston, avec sa langue, sa musique, à la perspective panafricaine qui se dégage d’African Journey, le récit du voyage de 1936 d’Eslanda Goode Robeson en Afrique, en passant par ces films où Katherine Dunham, à la caméra, enregistre sur place les danses des Caraïbes. 

Les échos avec la « Négritude » contemporaine sont nets, mais le temps ne s’invite pas seulement sous les espèces de cette affinité avec le présent ; il est comme la matière même de ces trois vies, de ces trois exemples d’anthropologie au féminin, de ces trois engagements. 

Ainsi, Zora Neale Hurston, en 1935, accompagne Alan Lomax et Mary Elizabeth Barnicle : il s’agit, on le sait, de recueillir cette expression si vivante de la culture noire du Sud qu’est la musique : c’est ainsi qu’on entend dans l’exposition, fragment bouleversant de passé, démonstration époustouflante de guitare, le « John Henry » de Gabriel Brown. 

On avance dans des temps ressuscités, dans une mémoire retrouvée – incarnée. Ainsi ce film de Zora Neale Hurston, de 1928 : ce vieux monsieur, sous son chapeau, que rien ne paraît distinguer de milliers de vieux messieurs afro-américains, c’est Kossola. Le dernier survivant d’un navire négrier. Extraordinaires images : de l’Histoire toute vivante.

Comme elle l’est aussi dans le cas d’Eslanda Goode Robeson. Ainsi, African journey, que j’évoquais plus haut, ne fige pas l’Afrique dans on ne sait quel ambre qui la soustrairait au monde. Eslanda Goode Robeson prend le pouls de l’Afrique contemporaine, parle des villes. Et journaliste, elle-même publiera ainsi dans son temps, participant à l’Histoire en train de se faire. Tandis que Katherine Dunham, dans l’Ag’ya, son ballet de 1938, conjugue deux histoires : celle du folklore (l’ag’ya est une danse martiniquaise qu’elle a remarquablement filmée) et celle de l’histoire des formes artistiques « consacrées ». Précieuse exposition qui, à son tour, redonne vie ici et maintenant à l’histoire de ces trois femmes…

Déborder l’anthropologie. Zora Neale Hurston, Eslanda Goode Robeson, Katherine Dunham, musée du quai Branly – Jacques Chirac, jusqu’au 12 mai.