C’est une version alanguie du séducteur que présente Macha Makeïeff dans cette mise en scène de Dom Juan où brille en contrepoint Sganarelle.

« Pour que le Don Juan soit possible, il faut qu’il y ait de l’hypocrisie dans le monde », observait Stendhal, suggérant ainsi un lien entre les deux pièces de Molière, Tartuffe et Dom Juan. Message reçu cinq sur cinq par Macha Makeïeff. Dans sa mise en scène, présentée en mars au Théâtre national populaire de Villeurbanne, ce lien est d’autant plus frappant que Xavier Gallais qui interprétait Tartuffe dans son précédent spectacle y assume cette fois le rôle de Dom Juan. Ce n’est donc pas un hasard si la séquence où le séducteur décide, comme il s’en ouvre à Sganarelle (Vincent Winterhalter), de devenir lui-même un Tartuffe est un des temps forts de la pièce joué de façon très convaincante par les deux acteurs. À la fois sinistre et comique, cet éloge de l’hypocrisie est brandi comme l’arme ultime du héros face à une société dont il méprise les mœurs étriquées ; c’est aussi au passage une raillerie adressée par Molière aux détracteurs du Tartuffe. Les mots de Dom Juan sont sans ambiguïté : « l’hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde et jouit en repos d’une immunité souveraine ». 

À genoux sur un prie-Dieu, Dom Juan joint le geste à la parole comme confit en dévotion. L’image cocasse appartient évidemment au registre de la parodie. Registre justifié en l’occurrence, mais dont Macha Makeïeff use à l’excès tirant régulièrement le spectacle du côté de la caricature. Ainsi les deux frères, Dom Carlos et dom Alfonse, ou encore Monsieur Dimanche, interprétés respectivement par Anthony Moudir, Joaquim Fossi et Pascal Ternisien sont exagérément ridicules. Les scènes où ils apparaissent ont quelque chose à la fois de bâclé et de surjoué. De même quand Dom Juan balance entre Charlotte et Mathurine jurant à l’une et à l’autre un amour exclusif, non seulement il fait un menteur trop peu crédible, mais la séquence est expédiée comme pour s’en débarrasser au plus vite donnant l’impression d’un manque de conviction de la part de la metteure en scène. À cela s’ajoute le traitement, là encore très surligné, des personnages féminins, Charlotte (Xaverine Lefebvre) et Mathurine (Khadidja Kouyaté) campant de ravissantes idiotes dont on ne voit pas vraiment qu’elles « s’émancipent sous nos yeux », comme le voudrait Macha Makeïeff ainsi qu’elle l’explique dans un entretien publié dans le texte de salle. 

Un personnage en revanche tire impeccablement son épingle du jeu dans cette affaire, c’est Sganarelle, dont le jeu tout en retenue compense la débauche de kitsch qui l’entoure. Contrairement à son maître qu’il décrit comme « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté », il est, lui, l’ami du genre humain. Mais ce qui emporte l’adhésion dans la façon dont Vincent Winterhalter gère son rôle, c’est la capacité d’adaptation du bonhomme. En fonction des circonstances, il est capable dans une même phrase d’exprimer deux opinions contradictoires. Cette souplesse intellectuelle évidemment ironique tranche sur la mollesse de son maître dont Xavier Gallais fait un sybarite apathique sans prise sur les événements. Enfin une des meilleures idées du spectacle, c’est la transformation de la statue du commandeur en une poupée mécanique. Jouée par Xaverine Lefebvre, elle est évidemment un écho de « l’homme machine » de La Mettrie, mais aussi du Casanova de Fellini. Avec ce joli pied de nez vis-à-vis d’une morale exclusivement patriarcale, Macha Makeïeff donne à son spectacle une touche résolument contemporaine.

Dom Juan de Molière, mise en scène et décors Macha Makeïeff, TNP de Villeurbanne, jusqu’au 22 mars. Puis à l’Odéon, à partir du 6 avril.