Avec Cavalières, Isabelle Lafon invente un théâtre sensible, drôle et original où, sous le signe de la passion pour les chevaux et de l’amitié entre quatre femmes, nous est offerte une jolie leçon de vie.

Des lettres que l’on enverrait sous la forme d’avions en papier en les lançant par la fenêtre avec la certitude qu’elles atteignent leur destinataire. L’image traverse l’esprit, le temps d’une seconde face aux quatre comédiennes qui interprètent Cavalières, création d’Isabelle Lafon actuellement au théâtre de la Colline à Paris. Régulièrement, on les voit envoyer d’un geste de la main ces missives imaginaires tandis qu’elles prononcent à voix haute le contenu de leurs courriers. Le fait qu’elles soient côte à côte n’est pas un problème, au contraire, car le ton épistolaire donne à leur dialogue une densité, une intériorité et une saveur que seule l’écriture rend possible. 

Écrire une lettre, c’est d’abord être seul devant une feuille de papier avec en tête la présence de la personne à qui l’on s’adresse. Les proportions imposantes de la grande salle du théâtre inscrivent les comédiennes – Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Kortals Altes et Isabelle Lafon – dans un espace dont le vide agit comme un amplificateur soulignant ce double effet de proximité et de séparation. Il faut saluer à cet égard le travail sur la lumière réalisé par Laurent Scheegans qui fait de ce champ ouvert un élément à part entière du spectacle. Ainsi c’est d’abord dans une traînée lumineuse ménagée par un porche très haut en fond de scène qu’apparaissent les actrices. Le décalage entre l’atmosphère fantastique renvoyant au cinéma expressionniste de ce paysage composé d’ombre et de lumière et la nature du propos donne le ton où pointe en permanence une note d’humour charmant. 

C’est un spectacle qui se déroule, pourrait-on dire, en style indirect. Comme si tout ce qui se déploie devant le spectateur était encore en gestation, avec une alternance de « vrais » dialogues et d’échanges épistolaires, mais aussi à travers tout cela une exposition de la situation en cours. Il est question de Denise, entraîneuse de chevaux de course, jouée par Isabelle Lafon, qui correspond par lettres avec son amie Saskia (Johanna Korthals Altes) comme elle passionnée de chevaux et vivant au Danemark. Toutes deux sont à un moment de leur vie compliqué. Denise vient d’avoir la charge de Madeleine, une enfant de neuf ans qu’on lui a confiée. Saskia a besoin de prendre du recul par rapport à son travail et demande à Denise si elle peut l’héberger pendant quelque temps. 

Il se trouve que Denise avait déjà posté une annonce plutôt originale : « Cherche trois femmes pour cohabiter dans un grand appartement. Conditions financières très avantageuses. » Il faut pour cela remplir trois conditions : avoir un rapport au cheval ; s’occuper de Madeleine ; habiter dans un appartement presque vide. Évidemment les réponses à cette annonce se font par courrier. Il y a Nora (Karyll Elgrichi) qui éprouve le besoin vital de s’éloigner de son époux et de leur enfant. Et Jeanne (Sarah Brannens) qui a beaucoup monté à cheval jusqu’au jour où une mauvaise chute l’a contrainte d’abandonner. Jeanne traverse une crise existentielle. Elle ne sait plus très bien où elle en est de sa vie. Précisons que Madeleine est une enfant difficile. 

À partir de là, loin d’être un récit linéaire, le spectacle détaille ce qui fait le sel de la relation entre ces quatre femmes en rupture avec, au centre, leur amour des chevaux. C’est à la fois très simple et très juste et surtout d’une profonde humanité. Avec notamment ce moment comique où surexcitées elles commentent en direct une course de chevaux. Ou celui où Madeleine ayant disparu, on la retrouve dans le box d’un étalon. Quelque chose de fort et de très beau se passe entre elles. D’autant plus fort qu’elles savent que cela ne doit pas durer. Ce sont ces moments fugitifs, ces détails minuscules, ce sentiment du temps, constitué de courage et d’inquiétude devant les aléas de la vie que nous fait partager avec beaucoup de sensibilité et de grâce ce spectacle merveilleux.

Les Cavalières, de et par Isabelle Lafon. Jusqu’au 31 mars au théâtre de la Colline, Paris (75020).